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une ligne droite que n’ont jamais fait dévier les événemens. Il se prodiguait peu, et cherchait moins à se produire qu’à exprimer librement sa pensée. Pour cela, il lui fallait un lieu où il pût parler sans contrainte, où l’on sût comprendre les devoirs de la critique aussi bien que respecter ses droits. Sur ce point, il était intraitable, et une fois que ses jugemens étaient arrêtés dans son esprit, il n’admettait volontiers aucun conseil, aucune révision. Nous n’apprendrons sans doute rien au lecteur en lui disant que les écrivains sont obligés à des ménagemens comme les hommes de toutes les autres classes de la société, qu’il est des intérêts qu’on n’aime pas à blesser, des amitiés qu’on ne veut pas froisser, et que s’il n’est jamais permis de mentir, il est en revanche parfaitement permis de choisir, pour dire la vérité, son heure et son moment. De toutes les formes de publications périodiques, le journal est celle qui est le plus soumise à ces ménagemens légitimes, et que nous ne songerons jamais à blâmer. Le rôle d’un journal n’est pas de défendre la vérité, mais une certaine vérité. Organe d’un parti, le journal est nécessairement partial et exclusif ; les intérêts de la secte, de l’école, du système qu’il représente, lui importent plus que les intérêts généraux de la société et de l’esprit humain. C’est assez dire que Gustave Planche était absolument impropre au journalisme, et qu’il était incapable d’accepter la discipline et la demi-abnégation qu’il impose. Nous avons déjà cité l’opinion d’Armand Carrel sur son indépendance d’esprit, et l’opinion de Carrel était l’expression très franche, nullement exagérée, des nécessités qui sont naturellement imposées au journalisme. Le directeur de journal qui aurait accepté sans contrôle Gustave Planche aurait couru risque de miner lui-même la citadelle qu’il était chargé de défendre. Ses rares tentatives dans la carrière du journaliste ne furent donc pas heureuses. Il fut quelque temps attaché à la rédaction du Journal des Débats, pour la partie littéraire, bien entendu ; mais là encore son indépendance d’humeur devait lui créer de nombreux obstacles. Le Journal des Débats n’avait pas alors la tolérance qu’il a pu acquérir depuis, grâce aux événemens ; il suivait une ligne inflexible, et ne pouvait, pour des intérêts esthétiques, mécontenter le parti qu’il représentait. Un jour que j’interrogeais Gustave Planche sur cette période de sa vie, il me répondit naïvement qu’on ne lui laissait rendre compte que des livres inoffensifs. On lui livrait les écrivains qui pouvaient être impunément jugés avec sévérité, mais on avait soin d’écarter de sa main tous les ouvrages importans et signés de noms sérieux, qui représentaient une influence puissante. Je livre cette anecdote telle qu’elle me fut racontée, parce qu’elle explique très bien et les conditions inhérentes au journalisme et les difficultés que Gustave Planche devait