Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rencontrer inévitablement dans cette carrière. Sa plus sérieuse tentative en ce genre fut la dernière. En 1835, de retour d’un voyage en Angleterre entrepris sous les plus malheureux auspices, et exécuté au milieu d’aventures malencontreuses qu’il dut à sa probité et à sa délicatesse, il crut avoir à se plaindre du directeur de cette Revue, dont il était depuis plus de quatre années le collaborateur, et il alla chercher un asile à la Chronique de Paris, journal qui venait d’être fondé par le célèbre M. de Balzac. Les lecteurs sensés s’étonneront peut-être qu’un homme aussi indépendant que Gustave Planche, qui n’avait pu se plier ni à la discipline militaire de Carrel, ni à la discipline modérée du Journal des Débats, soit allé chercher un asile dans un journal dirigé par un homme d’une personnalité aussi envahissante que M. de Balzac. Au fond, cette personnalité même assurait à Gustave Planche une indépendance relative : aussi cette dernière tentative fut-elle moins stérile que les précédentes, car Gustave Planche a reproduit les articles qu’il a donnés à la Chronique de Paris, et n’a pas jugé convenable de reproduire les articles insérés dans le National ou le Journal des Débats. Ce n’était pas en effet pour le plaisir de servir les intérêts d’un parti que M. de Balzac avait consenti à prendre la direction d’un journal ; sa personnalité bien connue ne pouvait se contenter d’un rôle aussi résigné : s’il avait un journal, c’était évidemment pour se dresser un piédestal d’où la France entière pût le contempler. Les ménagemens envers les personnes et les choses n’entraient point par conséquent dans le programme d’un tel journal, et l’on pouvait sans contrainte y dire ce qu’on pensait à l’endroit de tous et de chacun, à l’exception, bien entendu, de la divinité du lieu. Tout alla donc pour le mieux tant que Gustave Planche eut à parler de Meyerbeer et de Chateaubriand, des acteurs anglais ou d’Edgar Quinet ; mais tout changea lorsque le critique s’aperçut qu’en échange de cette liberté, on attendait de lui une complaisance empressée et une admiration sans bornes. Six mois lui suffirent pour achever cette expérience, qu’il ne recommença plus.

Pour se développer à son aise, son talent avait donc besoin d’indépendance et de liberté ; ici seulement, à cette même place où nous parlons de lui, il pouvait garder toute sa liberté d’humeur et de langage. Après quelques essais sur l’art et une remarquable étude du Salon de 1831, publiée dans l’Artiste, il entra dans la rédaction de la Revue presque à l’heure de sa fondation, dans les derniers mois de 1831. Il se révéla par un coup de maître, l’article sur la Haine littéraire, sous lequel succomba, pour ne plus se relever, le jaloux homme d’esprit à qui nous devons la publication des œuvres d’André Chénier. Dès le premier jour, il fut redoutable et annonçait