Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/666

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme le poète dans la sienne ; il a été interprète et non complaisant, juge et non courtisan. La Revue a voulu tracer entre ces deux pouvoirs une ligne de démarcation distincte et profonde, et cette ligne a été rarement franchie ; les poètes et les romanciers ont dû subir la loi et se soumettre à la controverse, la critique à son tour a dû se résigner à ne pas être envahissante et exclusive. La Revue n’a jamais permis à un romancier ou à un poète de choisir son critique ; mais elle n’aurait jamais permis à un critique d’imposer telle ou telle doctrine à l’imagination, et de condamner ou d’applaudir au nom d’une théorie préconçue ou d’une formule irrévocable. En agissant ainsi, elle a cru et elle croit encore réserver les droits du public, à qui il appartient après tout de se prononcer en dernier ressort, lorsque la controverse est épuisée et que toutes les causes sont entendues. Voilà pourquoi l’indépendance de Gustave Planche était ici à l’aise, et pouvait se déployer dans toute sa franchise. Il regardait la sincérité comme le devoir du critique ; on lui garantissait la liberté comme un droit. Il usait de ce droit largement sans doute, mais avec une équité qu’on n’avait nul besoin de lui recommander ; il traçait lui-même les limites de sa liberté, et il ne les dépassait jamais. Il ne sortait jamais du terrain qu’il avait choisi, et ne laissait pas son jugement s’égarer dans des allusions ou des finesses malicieuses. Avec lui, on n’avait pas à craindre les espiègleries, les méchancetés sournoises ; il ne s’attaquait qu’aux œuvres et non aux hommes, et c’est la faute de ses ennemis, et non la sienne, si parfois la discussion s’est engagée sur le terrain de la personnalité. Sa longue collaboration à la Revue compose donc la plus grande partie, la partie vraiment sérieuse de sa vie littéraire. Sa collaboration à d’autres recueils n’a jamais été et ne pouvait être que passagère.

En 1840, il se trouva possesseur d’une petite fortune qui aurait pu lui procurer le repos et la sécurité morale ; il en profita pour se procurer la liberté, après laquelle il avait si longtemps soupiré. Il partit pour l’Italie, et pendant cinq longues années on n’entendit plus parler de lui. Selon toute apparence, sa vie se passa dans le calme et dans une contemplation à demi solitaire. Les rares et longues lettres qu’il écrivait à sa famille ne révèlent rien de particulier sur cette période de son existence ; il y parle plus des autres que de lui-même, plus de Paris que de Rome et de Florence, s’inquiète avec sollicitude et tendresse des intérêts de ceux qui lui sont chers, et garde le plus profond silence sur ses souvenirs et ses sentimens. Ces lettres sont bien en un sens sa fidèle image ; jamais personnalité tranchée n’a été aussi réservée, aussi peu expansive, moins propre à l’abandon. Tout ce qu’on sait de ce voyage, c’est qu’il essaya