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chez lui le résultat de l’amertume et de la malignité ? On l’a dit et imprimé souvent ; mais, en vérité, on n’a jamais dit et imprimé une accusation plus calomnieuse. Son amour de l’art et son respect du public étaient l’unique cause de ses rigueurs. Il considérait le critique comme une sorte de magistrat chargé de faire la police des mœurs et du bon goût dans la république des lettres, et quand on lui reprochait sa dureté, on l’étonnait autant qu’on étonnerait un magistrat civil, si on lui reprochait la vigilance de sa police et sa trop grande sollicitude à protéger la sûreté des honnêtes gens. Cette manière de considérer la mission de la critique a ses inconvéniens, je le sais, et le plus grave peut-être, c’est de transformer pour un moment tout poète et tout artiste en véritable délinquant. Il avait l’air de regarder à priori comme coupables tous ceux qu’on amenait à la barre de son tribunal, jusqu’à ce que leur dossier eût été examiné. C’était lui-même qui dépouillait ce dossier, lui-même qui prononçait les plaidoiries pour et contre, lui-même qui formulait les questions au jury, dont il respectait toujours les droits. Ce jury, c’était le public, dont il cherchait avant tout à éclairer la conscience. C’est sur cette tâche qu’il concentrait toute l’énergie de ses efforts. Souvent il arrivait que le public amnistiait le coupable qu’il avait condamné dans sa pensée ; cependant il ne se déconcertait pas, et à la première occasion il recommençait le procès avec une nouvelle ardeur. Plus avide d’instruire que d’accuser, il ne craignait pas de répéter les argumens qu’il avait employés une première fois ; sa constance égalait sa fermeté. Il comptait sur le bon sens public pour lui rendre justice, pour faire triompher un jour ses opinions, et l’expérience a prouvé que son calcul était juste.

De bonne foi, que reste-t-il aujourd’hui des accusations de malignité portées par ses ennemis contre ses jugemens ? En fin de compte, le monde littéraire et le monde non littéraire les ont si bien acceptés, que les plus sévères, ceux qui à l’origine durent paraître les plus outrecuidans, sont devenus à l’heure qu’il est de véritables truisms, des vérités trop vraies, de purs lieux-communs. À l’origine, ils n’en étaient pas moins d’une singulière nouveauté, et il fallait certes un grand courage pour oser les prononcer. On lui reprochait d’attaquer par envie et impuissance toutes les gloires de la France : cette accusation mérite d’être examinée. Voyons un peu quelles sont les victimes de Gustave Planche. Ce n’est pas Mme Sand ; elle lui a inspiré quelques-unes de ses pages les plus éloquentes. Ce n’est pas M. Mérimée, car son admiration pour cet observateur incisif et profond n’a pas fléchi un seul jour. Certes, s’il est une nature littéraire qui fût contraire à la sienne, c’était celle de M. Sainte-Beuve ; il a cependant toujours parlé de lui avec une grande sympathie. M. Cousin,