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M. Villemain, M. Augustin Thierry, ont toujours été présentés par lui comme des modèles presque classiques. Il avait pour Béranger une admiration exagérée. S’il a blâmé l’abus que M. de Lamartine a fait de ses dons heureux, il a proclamé son génie avec le plus vif enthousiasme, et il l’a toujours placé à la tête des poètes de notre temps. Combien d’autres noms célèbres nous pourrions citer : Auguste Barbier, Alfred de Vigny, Brizeux, Victor de Laprade, Jules Sandeau, M. Augier lui-même ! Si nous récapitulons les noms illustres de la peinture et de la sculpture, nous arriverons au même résultat. M. Delacroix, M. Ingres, M. Decamps, Pradier, Barye, David, seraient-ils par hasard au nombre de ses victimes ? Bien loin de chercher des réputations à démolir, il cherchait au contraire à venger les talens méconnus, et appelait l’attention du public sur les artistes qu’on semblait négliger ou mal comprendre. Il nous suffira de citer les articles qu’il a consacrés ici même à deux artistes remarquables, un peu solitaires tous les deux, et qui, par le fait de cette solitude, n’ont pas eu toute la renommée qu’ils méritaient : M. Charles Gleyre et M. Paul Chenavard. Puisque tous ces talens glorieux et incontestés ont été par lui admirés, loués, recommandés, quelles sont donc les victimes qu’il a traîtreusement immolées ? Avec un peu de soin, on reconnaîtra que ce sont précisément les artistes, et les poètes justement condamnés aujourd’hui par l’opinion des lettrés. C’est Casimir Delavigne par exemple. Il l’a exécuté sans pitié, cela est vrai ; lui en fait-on un crime ? Son jugement a pu paraître sévère à l’origine ; mais qui ne sait aujourd’hui que les tragédies de Casimir Delavigne sont plus illisibles que la Henriade ? Il a toujours repoussé M. Scribe, ou, pour employer son langage, il n’a jamais voulu reconnaître que M. Scribe, malgré son ingénieuse fécondité, eût rien à démêler avec l’art. Les jeunes poètes et les jeunes critiques qui, lorsqu’ils parlent de l’auteur de la Camaraderie, dépassent trop souvent aujourd’hui la mesure que nous imposent les plus simples convenances, oseront-ils accuser Gustave Planche d’injustice ? Il a toujours parlé d’Alexandre Dumas avec peu de sympathie ; mais qui donc s’abuse aujourd’hui sur la valeur de cet illustre tempérament, dont l’œuvre la plus remarquable, Angèle, est un monument d’immoralité sans grâce et sans poésie ? Dans les arts, ses victimes sont moins nombreuses encore ; j’ai beau chercher, je n’en trouve que deux : M. Clésinger et M. Couture. Eh bien ! je le demande de bonne foi, qui donc aujourd’hui n’est pas fixé sur le mérite véritable de ces deux habiles ouvriers ?

Reste donc Victor Hugo ; mais Victor Hugo a-t-il été réellement la victime du critique ? Non. Sa gloire se porte à merveille ; toutes les jeunes générations qui se succèdent lisent ses livres et sortent de