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n’existait plus. Toutefois la légion conservait deux grands caractères : bien qu’elle ne fût pas encore légalement permanente, elle ressemblait à nos régimens par son esprit de corps, par son unité administrative, et dans les opérations militaires, sur le champ de bataille, elle jouait le rôle d’une de nos divisions modernes. Elle se composait encore de dix cohortes ou bataillons, mais l’effectif normal n’est indiqué nulle part. Seulement on a pu établir, en comparant certains passages de divers auteurs, que des généraux contemporains de César étaient entrés en campagne avec des légions de 5 et quelquefois même de 6 000 hommes.

Sur cette donnée, déjà hypothétique, on fonde une règle, et on l’applique à l’armée des Gaules. Soit ; mais une fois l’effectif des légions ainsi fixé, on le maintient au complet pendant toutes les péripéties de cette longue guerre, et l’on donne à César, campé devant Alesia, 60 000 soldats romains ou plus. Ceci ne nous paraît pas admissible, et nous pensons que ce chiffre doit être réduit de beaucoup.

Deux textes viennent à l’appui de notre opinion : 1° Sextus Rufus rapporte que César conquit les Gaules avec dix légions, composées chacune de 4 000 soldats italiens[1], soit, en tout, 40 000 ; 2° César, marchant avec deux légions au secours de son lieutenant Cicéron (frère de l’orateur), ajoute qu’il avait avec lui (7 000 combattans[2]. C’est la seule fois que dans les Commentaires il fixe le nombre de soldats que lui fournissait une légion, et il dit 3 500.

On repousse le témoignage de Sextus, d’abord parce qu’il vivait vers la fin du ive siècle, ensuite parce qu’il faut remonter, dit-on, à Servius Tullius pour trouver des légions aussi faibles ; mais l’assertion de Sextus n’est contredite par aucun écrivain antérieur, et il pouvait avoir consulté des auteurs que nous n’avons plus. Nous pensons qu’il n’était pas très loin de la vérité, car le chiffre donné par lui n’est qu’une moyenne ; il en faut seulement conclure que les légions n’étaient pas toujours au complet, plenissimæ, comme disent les Commentaires. C’est l’état habituel des corps de troupes en campagne, et il serait facile de montrer par de nombreuses citations qu’il en était ainsi chez les anciens tout comme chez les modernes ; mais il me semble inutile de produire des exemples[3] à l’appui

  1. « Cæterum Caesar cum decem legionibus, quæ quaterna millia militum Italorum habuerant, Galliam subegit. — Breviar. rer. gestar. pop. Rom. » Je cite ce passage tel qu’il se retrouve dans toutes les éditions de Rufus, parce que Lebeau, je ne sais pourquoi, a pris un 4 pour un 3, et lu terna au lieu de quaterna.
  2. B. G., v. 48, 49.
  3. Citons-en pourtant un seul, emprunté au texte des Commentaires, et qui se rattache à un bien grave événement. À la bataille de Pharsale, Pompée avait cent dix