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Circonscrite par les progrès de la civilisation, par les moyens de défense dont s’entoure au XIXe siècle la propriété, la vie des Romany devient de jour en jour plus sombre et plus misérable. On a cru pendant un temps soumettre cet élément vagabond par des mesures rigoureuses : l’histoire a démontré l’impuissance de l’arbitraire et de la violence à l’égard de cette race, qui se retire sous la main qui la comprime. Personne aujourd’hui en Angleterre ne songe plus à faire revivre un tel système. Ceux qui s’intéressent à la destinée des gypsies n’espèrent désormais les conquérir à la société que par les bienfaits de cette société même. L’éducation seule, les moyens de persuasion et de douceur peuvent les réunir à la population indigène sans les confondre, les réconcilier avec le domicile, les marier avec la terre.

L’obstacle est dans les préjugés mutuels : de part et d’autre, il faut oublier, pardonner. Le mur des inimitiés est peut-être plus fort du côté des gypsies que du côté des paysans anglais. Le plus difficile n’est pas d’opérer un rapprochement entre les classes laborieuses et les anciens parias : c’est de rapprocher des populations utiles ces êtres longtemps méprisés, oisifs et malfaisans. Celui qui a le plus de lumières a le moins de haine. Un système de charité opiniâtre et éclairé triompherait sans doute de la résistance des gypsies aux lois et aux devoirs de l’état social. Il faut d’ailleurs que les Romany choisissent entre ces deux perspectives : se modifier ou s’éteindre. Après avoir erré pendant des siècles, ce peuple, qui semble vouloir faire du dogme indien des transmigrations une réalité, s’effacera-t-il un jour, ne laissant dans l’histoire qu’un souvenir, un nom, un mythe ? Cette race des enfans aux yeux noirs, à la peau brunie par le soleil de l’Orient, s’évanouira-t-elle avec le temps comme la fumée de ses bivouacs ? Je ne le crois pas, je ne le désire point. Aux yeux de l’ethnologiste, toutes les familles, quelle que soit leur couleur, ont une valeur relative ; toutes peuvent concourir, par des dons différens et variés, au travail commun de la civilisation. Les Romany l’avouent eux-mêmes, leur caste se dissout, l’union s’affaiblit parmi eux, l’attachement aux lois et aux usages de leurs ancêtres diminue à mesure que les bruyères disparaissent du sol de la Grande-Bretagne. Ce sont autant de signes avant-coureurs de leur retour à la société, et, au point de vue de la morale comme de l’économie politique, ce retour serait un événement heureux. L’intérêt bien entendu des civilisations modernes n’est point de maudire les races, c’est de les bénir et de les réunir toutes dans un sentiment d’humanité.


ALPHONSE ESQUIROS.