Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, tandis que César était encore immobile, Vercingétorix était déjà établi en Séquanie. Quel était son but ? Je n’en vois qu’un de plausible, et Plutarque nous l’indique. Il dit en effet que les Séquanes avaient embrassé le parti italien[1]. Dans ce cas, je comprendrais que Vercingétorix eût envahi leur pays pour les forcer à se rallier au parti national, à fournir un contingent, à exécuter les résolutions prises par la grande assemblée d’Autun, en un mot pour enlever à l’ennemi des alliés de cette importance, pour les combattre au besoin et ravager lui-même leur territoire. Malheureusement l’assertion de l’éminent biographe est contraire au texte des Commentaires. César nomme les trois peuples qui n’avaient pas envoyé de députés à Autun ; il n’aurait assurément pas omis les Séquanes, dont l’alliance ou la seule neutralité aurait apporté un si grand changement dans sa situation[2]. Une seule chose serait plus difficile à expliquer que cette omission, c’est qu’il n’eût pas profité plus tôt d’une circonstance aussi favorable. Reste donc un seul motif pour expliquer le mouvement qu’on prête à Vercingétorix : il voulait barrer la route aux Romains. S’il ne s’agissait que de les harceler, de leur couper les vivres, il n’avait nul besoin de les précéder si longtemps d’avance et de s’exposer à tous les périls qu’amenait un pareil mouvement. Il voulait donc leur livrer bataille ? mais il était décidé à ne pas le faire, écrit César ; neque acie dimicaturum. Qu’arrivé près de l’ennemi, entouré d’une nombreuse et brillante cavalerie, il se soit laissé entraîner par l’ardeur des siens, et qu’il ait alors oublié ses sages résolutions, c’est croyable, bien que ce ne soit pas notre opinion ; mais est-il vraisemblable que de sang-froid, longtemps à l’avance, il ait exécuté plusieurs marches et fait de grands préparatifs pour atteindre un but si contraire à son plan de campagne ? Et d’autre part, comment croire que César, si bien renseigné toujours, n’ait rien su de ce nouveau projet, des mouvemens par lesquels il s’annonçait ? S’il était au courant, comment n’a-t-il pas pris la peine, par une phrase, par un mot, par une simple allusion, d’en informer ses lecteurs ? Non ; silence complet. C’était là une omission bien autrement importante que toutes celles qu’on lui reproche.

Il y a plus. Quelque téméraires que pussent être les intentions de Vercingétorix, la position d’Alaise eût été mal choisie.

Que l’on consacre quelques minutes à l’examen de la carte, et l’on sera convaincu que César, partant d’un lieu quelconque du territoire des Senonais, des Rémois ou des Lingons, fût-ce même de Langres, ne devait pas chercher à passer la Saône au-dessus

  1. Φίλων ὄντων καὶ προκειμένων τῆς Ιταλίας, « amis et rapprochés ( ?) de l’Italie. » Vita Cæsaris, c. 26.
  2. Il les nomme au contraire plus loin parmi ceux qui fournirent un contingent considérable à l’armée de secours. B. G., vii, 75.