Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans sa formation, dans son développement politique et moral, dans ses tendances essentielles et organiques. M. Carutti est l’habile historien des destinées et des traditions politiques de son pays, le Piémont. C’est un esprit.net et instruit, qui raconte et expose les événemens encore plus qu’il ne songe à dégager la philosophie des choses. Par sa position au centre des affaires d’état, — il est employé au ministère des relations extérieures à Turin, — il a plus d’un secret du passé. Il connaît les mobiles des hommes, les ressorts inaperçus des combinaisons politiques, la marche mystérieuse de ces négociations dont les contemporains ne savent le plus souvent que ce qu’on veut leur dire et ne voient que les résultats. De là l’intérêt des histoires qu’il a successivement consacrées à l’époque où vécut Victor-Amédée II et au règne de Charles-Emmanuel III. M. Carutti reste avant tout Italien ou Piémontais dans ses jugemens et dans ses récits, tandis que M. de Carné est Français et juge avec un esprit tout français. Seulement les deux historiens se rencontrent ici sur le même terrain et se trouvent en face des mêmes personnages, le cardinal de Fleury, Elisabeth Farnèse, Charles-Emmanuel III, l’empereur Charles VI ; ils se rejoignent en quelque sorte dans l’étude de ces mêlées diplomatiques ou guerrières du XVIIIe siècle, où les destinées de l’Italie s’agitent déjà comme aujourd’hui. C’est ainsi que l’auteur de la Monarchie française au dix-huitième siècle et l’auteur de l’Histoire du Règne de Charles-Emmanuel III, sans suivre le même chemin, éclairent de lumières diverses une même époque, objet d’apologies passionnées ou de haines vengeresses, et qui a eu la singulière fortune de mériter les unes et les autres.

Qu’est-ce en effet que le XVIIIe siècle pour la France ? Le vivace et puissant mouvement des esprits cache ici les débilités de la politique. À la surface apparaît l’irrésistible travail de toutes les idées philosophiques ; au fond, les institutions s’énervent par les vices et par les abus ; les pouvoirs en viennent aux mains dans de petites luttes où ils se discréditent les uns les autres en attendant de disparaître dans le même abîme. Le libertinage règne en souverain ; la mollesse et l’imprévoyance sont partout dans le gouvernement. De ces deux ordres de faits, de l’expansion de plus en plus impérieuse de l’esprit philosophique concordant avec la décadence des choses et des hommes, sort la révolution française en 1789. Ce XVIIIe siècle fut politiquement une pauvre époque, et les lumineux tableaux de M. de Carné ne font que mettre en relief ce caractère. Quelques hommes sensés ou brillans ne changent rien. Le cardinal de Fleury était en ses bons momens un sage ministre, et il ne put avoir une influence heureuse et décisive ; l’esprit d’un nouveau Richelieu n’était point dans cet habile vieillard, qui tenait avant tout au pouvoir. M. de Choiseul, avec son intelligence déliée et hardie, eût