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été peut-être dans un autre temps et sous une autre direction un habile ministre, et il ne put empêcher le mal ; il y travailla au contraire, heureux de s’aller abriter dans sa triomphale retraite de Chanteloup. À l’intérieur, tout se détraque peu à peu durant le XVIIIe siècle, et au dehors c’est bien pis encore. Un des traits curieux du temps en effet, c’est l’incohérence de la politique extérieure. On ne retrouve plus cette persistance de pensée, cette suite dans les desseins, cet éclat des grandes luttes qu’on avait vus sous Louis XIV et qu’on ne devait revoir que dans le feu de la révolution française. Tout se perd en intrigues et prend une allure fantasque. Les intérêts permanens des peuples semblent disparaître ; la règle souveraine de la politique est le caprice d’un prince, d’un ministre, quelquefois d’une favorite.

Je ne connais pas de plus bizarre spectacle d’anarchie diplomatique que celui qui se déroule pendant quelques années en Europe, à partir de la paix d’Utrecht. Désordre de toutes les alliances, velléités agitatrices de l’Espagne conduite par Alberoni et Elisabeth Farnèse, renvoi de l’infante qui devait épouser Louis XV, rapprochemens imprévus ou ruptures subites entre les gouvernemens, traités contradictoires, versatilité des politiques, tout se mêle, tout arrive sans qu’une direction supérieure se révèle dans les événemens. La paix d’Utrecht est à peine conclue que toutes les ambitions sont aux prises et menacent de rallumer l’incendie. Le traité de la quadruple alliance est signé, en apparence pour raffermir la paix, en réalité pour en modifier les conditions : les congrès se succèdent à Cambrai, à Soissons ; mais bientôt la situation change de face. L’Espagne se rapproche de l’Autriche, et à ce rapprochement la France, l’Angleterre et la Prusse répondent par l’alliance de Hanovre. Le traité de Séville survient pour conjurer encore un conflit, et ce traité lui-même n’est qu’un palliatif.

Un fait est à remarquer, c’est la place qu’occupe toujours l’Italie dans ces débats confus de la politique européenne. L’empereur songe à s’étendre jusqu’en Sicile, et l’Espagne songe à reconquérir les positions qu’elle a perdues dans la Péninsule, tandis que le Piémont ne cesse de tourner ses regards vers Milan. Que pensait de tout cela un homme qui était certes un témoin fort intéressé, qui devait être un allié utile dans toutes les guerres et dont tous les cabinets de l’Europe avaient cherché à pressentir les dispositions, — je veux parler de Victor-Amédée II de Savoie ? Dans tous ces troubles de la diplomatie européenne, Victor-Amédée voyait moins une pensée politique qu’un grand désordre qui ne devait conduire à rien, et voilà pourquoi il se tenait dans la réserve. Peu avant son abdication, vers 1730, il disait au jeune chargé d’affaires de France, au comte de Blondel : « Vous vous trompez en croyant qu’il y aura