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de près la paix de 1738, et où les destinées de l’Italie étaient également en jeu : c’est la crise de la succession d’Autriche. Les mêmes personnages reparaissaient encore, le cardinal de Fleury, Elisabeth Farnèse, Charles-Emmanuel de Savoie ; ils étaient tous là, sauf l’empereur Charles VI, qui était remplacé sur la scène par cette jeune femme héroïque, Marie-Thérèse. Charles VI mourut le 20 octobre 1740 ; tout le monde avait reconnu la pragmatique sanction, et tout le monde aussitôt aspira à recueillir un lambeau de ce vaste héritage, ceux-ci en Allemagne, ceux-là en Italie. Frédéric Il de Prusse voulait la Silésie ; la reine d’Espagne sentait renaître toutes ses convoitises ; Charles-Emmanuel III faisait revivre au sujet du Milanais de vieux droits qu’il tenait de son aïeule, l’infante Catherine, fille de Philippe II. La France hésitait avant d’oublier la garantie dont elle avait couvert la pragmatique sanction, et de prendre parti contre Marie-Thérèse : situation singulière, brusquée tout à coup par Frédéric II, qui avait le plus à gagner dans cette guerre ! Quant à Charles-Emmanuel III, il se trouvait une fois encore placé entre toutes les alliances qui venaient le tenter. La France et l’Espagne lui offraient de nouveau le Milanais, tandis que le second fils de la reine Elisabeth Farnèse, l’infant don Philippe, aurait Parme et Plaisance. Marie-Thérèse, de son côté, consentait à lui céder des provinces nouvelles de la Lombardie. Cette fois ce ne fut pas vers la France que Charles-Emmanuel se tourna ; après avoir flotté quelque temps et masqué ses desseins sous le voile de multiples négociations, il inclina définitivement vers l’Autriche ; et ici on dira peut-être ce qui a été dit bien souvent, que ces princes de Savoie sont mobiles dans leurs alliances, qu’ils surprennent toujours par la brusquerie de leurs volte-faces, qu’on les voit passer alternativement dans tous les camps et prêts à entrer dans toutes les négociations. C’est là un des traits de la politique piémontaise, qui a été souvent changeante et s’est rarement attardée dans la fidélité ; mais n’est-ce point vraiment une nécessité traditionnelle de situation ?

Le Piémont est peut-être dans l’histoire l’image la plus curieuse d’un petit peuple faible de ressources, mais vigoureux de caractère, et placé entre des voisins puissans qui se servent de lui en l’abandonnant quelquefois. La ruse est l’arme des faibles qui veulent se faire compter : ils suppléent à la force par la dextérité et la hardiesse des évolutions ; ils se tournent vers qui les menace le moins et peut leur offrir le plus d’avantages. C’est ainsi qu’en 1742 Charles-Emmanuel de Savoie se tournait vers Marie-Thérèse ; il avait moins à craindre pour le moment d’une souveraine attaquée de toutes parts et réduite à chercher des alliés que de la maison de Bourbon, déjà en possession de Naples et poursuivant encore de nouveaux établissemens à Parme, à Plaisance et jusqu’en Lombardie ; mais il se lia tout