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d’abord avec Marie-Thérèse d’une étrange façon, par ce traité qui a reçu le nom de convention provisoire et qui est resté sans doute le plus bizarre modèle d’engagement diplomatique. Le roi de Sardaigne consentait à oublier momentanément ses prétentions sur le Milanais, sauf à les faire revivre quand il le jugerait à propos ; il contractait une alliance militaire avec la reine de Hongrie pour la défense commune contre l’Espagne, et en même temps il se réservait la pleine liberté de passer dans un autre camp et de choisir d’autres alliés, en prévenant seulement le général autrichien. Ce fut le chef-d’œuvre de la politique piémontaise et du marquis d’Ormea, et M. Carutti a bien quelque raison de considérer la convention du 1er février 1742 comme un traité unique en son genre, si ce n’est comme un monument de dextérité et de sagacité diplomatiques.

Ce n’était point une alliance définitive ; elle laissait la place au contraire à toutes les négociations que Charles-Emmanuel suivait plus activement que jamais et simultanément avec l’Autriche en même temps qu’avec la France et avec l’Espagne. Ce ne fut qu’après une année de fluctuations et d’incessans échanges de propositions que le roi de Sardaigne se décida définitivement pour la cause de Marie-Thérèse, et que la convention provisoire devint le traité de Worms, qui réunissait dans une même alliance l’Angleterre, l’Autriche et le Piémont. La France, il est vrai, à la veille de ce traité, offrait de nouveau le Milanais à Charles-Emmanuel III ; mais celui-ci se souvenait trop de la guerre de 1733 : il préféra des cessions plus modestes, plus sûres, et qui avaient à ses yeux le mérite de ne point démembrer tellement la puissance impériale qu’elle ne pût balancer encore la prépondérance menaçante de la maison de Bourbon en Italie. Le roi de Sardaigne se contenta donc d’obtenir cette fois de Marie-Thérèse Vigevano, le Haut-Novarais, une partie du pays de Pavie et du pays de Plaisance. Au traité de Worms, la France et l’Espagne répondirent par le traité de Fontainebleau, qui promettait à l’infant don Philippe le Milanais avec Parme et Plaisance. Dès lors les camps étaient nettement tranchés.

Cette guerre de la succession d’Autriche fut, on le sait, une guerre longue et acharnée qui embrassait à la fois l’Allemagne et l’Italie ; elle dura près de huit années. Charles-Emmanuel III, quant à lui, eut à subir de redoutables crises, attaqué de tous côtés, par l’armée espagnole en Italie, par l’infant don Philippe et par l’armée française sur les Alpes. Ses forteresses finissaient par lui échapper l’une après l’autre. Il ne cessait pourtant de combattre vaillamment. Le soir de la bataille de la Madonna dell’ Olmo, qu’il venait de perdre, le roi soutint le dernier la retraite au milieu de la pluie et du feu ; il passa la nuit dans une grange, se reposant à peine sur un peu de paille, et répétant toujours : « Mes pauvres soldats ! mes pauvres soldats ! »