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du cardinal, l’avait constamment maintenu, et Louis XIV était fort résolu à conserver à ses ambassadeurs une aussi précieuse prérogative.

Assuré de son ascendant sur un homme comblé de ses bontés, le roi de France n’hésita donc pas à écrire lui-même au prélat espagnol pour lui demander, à titre de service personnel, l’oubli de ses griefs contre l’ambassadeur et l’admission de celui-ci aux séances du despacho. Porto-Carrero avait à peine achevé la lecture de l’auguste autographe qu’il se déclarait converti ; mais l’opinion repoussait énergiquement la prétention de l’ambassadeur de France, et lorsque le cardinal eut déserté une cause devenue celle de l’Espagne, l’indignation publique ne lui laissa d’autre ressource que de se retirer bientôt après dans son diocèse pour y songer à son salut. Ainsi finit la carrière d’un homme qui, sous les dehors d’un courage antique, cachait une faiblesse sans égale ; il ne devait plus en effet reparaître sur la scène du monde que pour déshonorer ses cheveux blancs en prêtant un serment, désavoué par son cœur, au rival du prince sur la tête duquel il avait eu l’honneur de placer la couronne.

C’était peu pour Mme des Ursins d’avoir renversé un ministre incapable, si les affaires passaient aux mains d’un ambassadeur qui entendait demeurer l’unique intermédiaire des rapports entre les deux rois. Que le cardinal d’Estrées parvînt à prendre dans le gouvernement la prépondérance qu’il estimait appartenir au roi son maître et à lui-même, et la camarera mayor se trouvait confinée dans les fastidieuses fonctions de sa charge et la stérile surintendance d’un palais. Elle avait bu avec trop d’ardeur à la coupe du pouvoir, pour n’avoir point les vertiges et les périlleuses audaces de l’ambition. Après les agitations de la régence, une retraite obscure en Italie lui aurait paru mille fois préférable à sa résidence en Espagne, si elle avait dû y demeurer en n’étant plus que l’ombre d’elle-même. Plutôt que de subir une telle déchéance, elle accepta résolument toutes les chances d’une lutte dans laquelle elle allait rencontrer Louis XIV derrière son représentant.

Le cardinal et l’abbé d’Estrées, chargé de seconder son oncle dans les devoirs de l’ambassade, possédaient en effet toute la confiance du roi, et c’était bien un guide que celui-ci avait entendu donner à son petit-fils en lui envoyant un homme aussi important dans l’église et dans l’état. Mme de Maintenon reflétait sur ce point-là, comme sur tous les autres, les sentimens personnels du monarque, et la maréchale de Noailles, alliée aux d’Estrées par le maréchal de Cœuvres, époux de l’une de ses filles, voyait avec un extrême déplaisir s’élever un conflit aussi regrettable pour les intérêts de sa maison que périlleux pour la princesse des Ursins. Désarmée du côté de Versailles,