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des racines indestructibles. Le littoral du nord et la grande province d’Andalousie, joignant à ces motifs divers la haine qu’inspirait l’Angleterre aux populations maritimes, se prononcèrent résolument pour la maison de Bourbon, de telle sorte qu’en dehors des territoires de l’ancienne couronne d’Aragon, la conquête morale du royaume fut à peu près consommée, malgré l’occupation étrangère et par l’effet de cette occupation même. Ce fut avec des transports de joie qu’on vit les Anglo-Portugais évacuer hâtivement Madrid à l’arrivée d’une nouvelle armée française, entrée en Espagne par la Navarre sous le commandement du maréchal de Berwick. La confiance partout renaissante et l’ardeur des peuples préparés par le maniement du stylet à celui de l’épée, les violences et les menaces de l’étranger, tout constatait l’approche d’événemens décisifs, et prouvait que l’Espagne, longtemps hésitante, avait enfin pris son parti entre les deux prétendans.

Jamais, dans le cours de sa carrière agitée, Mme des Ursins ne déploya plus d’activité que dans les six mois qui séparèrent la rentrée de la cour à Madrid de la bataille d’Almanza. Sa position était aussi délicate que périlleuse. Il fallait flétrir des défections éclatantes, mais sans pousser personne jusqu’au désespoir ; il fallait surtout, et à quelque prix que ce fût, créer à l’Espagne des ressources financières, car la France épuisée n’envoyait plus de subsides : ce fut une œuvre difficile, à laquelle le nom d’Orry ne se rattache pas moins étroitement que celui de la princesse. La révocation hardie des biens engagés par la couronne et un emprunt décrété sur les propriétés du clergé produisirent des résultats d’autant plus considérables, que la plupart des grands et des prélats, atteints par cette double mesure, se virent contraints de proportionner leurs empressemens à leurs torts, et de faire de leur zèle la rançon de leur récente félonie. Les dépêches d’Amelot, analysées par l’abbé Millot dans les Mémoires de Noailles, sont pleines de détails sur les miracles de cette activité, qui ne préparèrent pas moins efficacement que les belles manœuvres de Berwick l’immortelle journée d’Almanza.

Le 25 avril 1707, une armée inférieure en nombre aux Anglais, aux Portugais et aux Autrichiens, qu’elle rencontra postés en face d’elle, les défit dans une mêlée d’une heure, faisant dix mille prisonniers, tuant six mille hommes à l’ennemi, lui prenant son canon, son bagage et cent vingt drapeaux. Cette magnifique victoire, arrachée par la furie française, comme pour donner au vieux roi la force de supporter sans mourir la honte de Ramillies et de Turin, ouvre dans la guerre de la succession ce qu’il faudrait nommer la période espagnole. La victoire d’Almanza fut en effet le dernier service rendu à Philippe V par son ancienne patrie : à partir de ce jour, la France,