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menacée sur ses frontières, contrainte d’affecter toutes ses ressources à son propre salut, devient pour l’Espagne un obstacle et un péril permanens. Elle compromet cette monarchie par ses opérations militaires, et bien plus gravement encore par ses négociations diplomatiques. Dans cette phase nouvelle, signalée par l’antagonisme presque constant des deux cours, la situation de Mme des Ursins est des plus critiques ; mais nous allons la voir, avec la rectitude habituelle de sa pensée, prendre sans hésiter le parti commandé par l’honneur comme par la bonne politique.

La gravité des événemens avait déterminé Louis XIV à se faire représenter en Espagne par son neveu, dont la réputation militaire avait plus grandi en Italie par nos malheurs qu’elle ne l’aurait fait peut-être par nos victoires, tant on lui avait su gré de ses conseils méconnus et d’une opposition si tristement justifiée. Arrivé à l’armée au lendemain de la bataille d’Almanza, le duc d’Orléans avait en deux campagnes soumis le royaume de Valence et la plus grande partie de l’Aragon, après avoir emporté en Catalogne des forteresses jusqu’alors réputées imprenables. S’inspirant de la pensée du chef de sa race, il avait fait profiter ses services militaires à l’extension de l’autorité monarchique, et avait solennellement aboli, au nom de Philippe V, dans le royaume d’Aragon, les privilèges anarchiques qui énervaient le pouvoir sans servir efficacement la liberté. La correspondance de Mme des Ursins avec Mme de Maintenon et la maréchale de Noailles d’avril 1707 en novembre 1708, date du départ du prince, constate que les relations de celui-ci avec la grande camériste s’étaient longtemps maintenues sur le meilleur pied, les mœurs dissolues du duc d’Orléans inquiétant moins Mme des Ursins que la sûreté de son coup d’œil ne la charmait. La rupture de cet accord, qui d’ailleurs s’opéra sans éclat[1], fut l’un des résultats les plus regrettables de la ténébreuse intrigue dans laquelle des agens subalternes égarèrent un moment l’ambition du petit-fils d’Anne d’Autriche[2], machination plus funeste au prince, dont elle entacha l’honneur, qu’au roi d’Espagne, qui n’en reçut aucun dommage pendant la présence du duc d’Orléans dans ses états, les mouvemens de Flotte et de Renault, ses émissaires, n’ayant pris un peu d’importance qu’après son départ.

Si entre la victoire d’Almanza et celle de Villaviciosa le trône de Philippe V fut encore exposé à de graves périls, ce n’est pas, quoi

  1. Quelques semaines avant le départ du prince, la correspondance de Mme des Ursins la montre encore engagée avec Mmede Maintenon dans une négociation des plus étranges dans l’intérêt de Mme de Séry, pour l’érection du comté d’Argenton en faveur de cette maîtresse du duc d’Orléans.
  2. Voir dans ce recueil la Régence et le Régent, n° des 1er et 15 juin 1858.