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les vivans au temple, qu’ils ne quitteront guère qu’après le coucher du soleil. Ce jour est celui du kippour proprement dit. Tout le monde est déchaussé. Quelques fidèles poussent la dévotion jusqu’à ne pas s’asseoir pendant toute la durée de ce long office. Quatre fois le peuple se confesse et se prosterne. Chacune de ces confessions, que Dieu seul reçoit, est précédée de prières composées par des docteurs de la synagogue, et dont quelques-unes sont vraiment d’une rare éloquence, celle par exemple qui sert d’introduction à la grande confession du matin, et dont l’auteur est rabbi Samtob, fils d’Adontiat[1].


« Maître de l’univers ! quand je vois que la vigueur et l’éclat de ma jeunesse sont évanouis, que tous mes membres ne sont plus qu’une ombre, et que je suis teint et infecté de crimes…, je désespère de trouver la guérison de mes rébellions et d’avoir la force de faire pénitence, car les jours sont courts, et l’ouvrage est immense… Combien le rachat de mes péchés est cher ! Comment pourrais-je m’en laver, moi qui suis pauvre et misérable ? Cette réflexion me fait courber la tête comme un jonc, me fait verser des larmes de sang et éparpille mes entrailles, comme lorsqu’on sème du cumin et de la nielle. Il est vrai que mes sentimens, en m’encourageant, me disent : Implore le pardon, car il y a du temps encore ; et quoique le juge soit terrible et sévère, ne désespère point des miséricordes, puisque le soleil est encore dans les hauteurs et qu’il ne se presse point de finir sa carrière, jusqu’à ce que tu aies trouvé de la place pour tes cris et une porte ouverte pour tes prières… »


Non moins belle est ta prière qui précède la grande confession de l’après-midi. Elle est l’œuvre du rabbin Isaac, fils d’Israël[2]. Qu’elle répond bien au repentir et à la contrition de toute cette assemblée !


« Maître de l’univers ! quand j’ai fait réflexion, à l’heure de la prière de l’après-midi, à l’énormité de mes crimes, j’ai tremblé de peur, j’ai été saisi d’étonnement en m’apercevant que le Tout-Puissant va se lever pour me juger. Que lui dirai-je quand il me demandera raison de mes actions ? Que répondra cette chétive poussière de terre devant celui qui réside dans les lieux les plus élevés ? J’ai désiré d’avoir un bon avocat pour me défendre, je l’ai cherché soigneusement dans moi-même, et je ne l’ai point trouvé. J’ai appelé ma tête, mon front et mon visage, afin qu’ils implorassent le Seigneur pour moi. La tête m’a répondu : Comment pourra lever la tête celui dont la vie n’a été que mépris et orgueil ? Le visage m’a fait réponse : Comment attirera la bienveillance de son maître cet homme qui est si effronté ? Et le front m’a dit : Comment, ô malheureux mortel, veux-tu te rendre innocent quand tes crimes sont encore gravés dans ton cœur, et que tu as un front d’airain ? »

Entre la prière de minha (après-midi) et celle de la nehila (clôture)

  1. Rabbin de l’école espagnole, qui florissait à Léon dans la première moitié du XIVe siècle.
  2. Il vivait à Tolède vers la fin du XIIIe siècle.