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La lettre de l’empereur produira, nous nous y attendons, une sensation très vive en Italie, car le courant des esprits était fort éloigné des idées exprimées dans ce document, On croyait à Turin, il y a peu de jours, que le gouvernement sarde allait apporter dans la direction des affaires italiennes une certaine énergie. Un grand nombre de libéraux reprochait au ministre piémontais sa timidité. Une réunion de députés avait eu lieu à Turin pour prêter au cabinet ce qu’on appelait un appui moral. Cette réunion, composée de cinquante membres, avait voté à l’unanimité plusieurs résolutions. Elle avait invité le gouvernement à accepter le vœu d’annexion des duchés et des légations, en le priant d’agir sans délai et d’avoir confiance dans les manifestations des populations. Elle avait également pressé le gouvernement de soutenir de toutes ses forces devant le congrès le principe de non-intervention. L’on croyait qu’excité par ces démonstrations officieuses, le gouvernement allait prendre des mesures décisives dans le sens annexioniste. Peut-être la publication de la lettre de l’empereur a-t-elle eu pour objet de prévenir quelque témérité de ce genre : à tout événement, elle justifiera du moins auprès des impatiens la circonspection à laquelle est tenu le ministère piémontais. Le voyage du général Garibaldi à Turin montre bien la gravité de la situation dans laquelle est arrivée la lettre impériale. Dans son voyage de Bologne à Turin, le général a publiquement montré des dispositions singulièrement belliqueuses, qui auront dû se refroidir devant les conseils arrivés de Paris. Au surplus, le ministère piémontais venait tout récemment d’accomplir un acte qui avait été applaudi par tous les partisans des fusions italiennes comme traçant avec sagesse la vraie politique qui pourrait concilier les originalités diverses de l’Italie avec l’unité nationale largement organisée : nous voulons parler du décret qui a transféré à Milan la cour de cassation, et qui a provoqué la démission du ministre de la justice, M. Miglietti. On voyait là une pensée habile et prudente qui, tout en concentrant l’unité politique à Turin, voulait partager en quelque sorte entre les grandes cités italiennes les diverses prééminences auxquelles elles sont propres. C’est la bonne politique, disaient les annexionistes, car les diverses agrégations italiennes ne sont point ambitieuses d’autonomie politique, elles ne sont attachées qu’aux institutions municipales, et en évitant les excès de la centralisation administrative, en donnant satisfaction aux traditions municipales du pays, le Piémont pouvait à la fois faire fleurir les grandes villes et assurer l’unité italienne. Faut-il ne voir là pour le moment que l’interruption d’un beau rêve ? Nous aurions voulu examiner à ce propos un écrit remarquable que M. Albert Blanc vient de publier à Chambéry contre les partisans de l’annexion à la France qui s’étaient révélés en Savoie. M. Albert Blanc plaide une cause gagnée. Les utiles conseils qu’il adresse aux Savoisiens et au gouvernement piémontais pour amener ceux-là à entrer plus résolument dans la vie politique et libérale du Piémont, et pour exciter celui-ci à donner une attention plus appliquée aux intérêts de la province qui fut le berceau de la maison de Savoie, n’en subsistent pas moins, et pourront porter de bons fruits. Nous n’eussions pas été aussi accommodans que M. Blanc sur la question de la frontière des Alpes, si la Sardaigne eût dû former un grand royaume de 12 millions d’âmes ; mais après la lettre de l’empereur, il serait superflu de discuter ce point avec M. Blanc.