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les attaques retentissantes de la mer à d’immenses éboulemens. »

Tel est le spectacle de destruction qu’offre d’Ault au Havre une ligne de 140 kilomètres de falaises. Le cap d’Antifer étant le point de partage des deux courans entre lesquels se divise le flot, celui qu’attire à soi l’embouchure de la Seine ne côtoie les falaises et n’en recueille les débris que sur une étendue de 23 kilomètres ; il s’en saisit et passe devant Le Havre avec ses eaux chargées des teintes laiteuses de la marne délayée et son éternelle traînée de galets. Ces deux élémens se séparent dans leur marche en raison de la différence des pesanteurs et des volumes ; l’un est tenu en suspension, l’autre roule sur le fond de la mer. À chaque marée, les galets avancent avec le flot et rétrogradent, mais à une moindre distance, avec le jusant ; le cri plaintif de ces froissemens sous-marins perce au milieu du bruit des lames qui se brisent sur le rivage et du mugissement lointain de l’Océan. Pressés par le courant contre la côte, ils arrivent dans la Seine en masse serrée, sans s’égarer et sans perdre dans les oscillations de leur marche au-delà de ce que leur enlève le frottement. Les sables siliceux de cette origine suivent la route des galets ; seulement ils peuvent être poussés plus loin, et ils se fixent probablement en grande quantité sur les bancs qui s’avancent de l’embouchure vers le large. Les marnes délayées sont tenues en suspension par le moindre mouvement des eaux, et ne se déposent que dans de très rares momens de calme. Le lit de la Seine retient tout ce qui est silice, laisse échapper la plus grande partie de ce qui est calcaire, et c’est pour cela sans doute que, dans les dépôts qui s’y forment, le rapport entre les deux élémens constitutifs des falaises est si différent de ce qu’il est à son origine. Sans cette circonstance modératrice de l’accumulation des alluvions, l’atterrage serait depuis longtemps comblé.

S’il n’est pas possible d’atteindre une exactitude satisfaisante dans l’évaluation des dépôts qui se forment à l’embouchure de la Seine, il existe, sur le reculement des falaises du pays de Caux depuis les temps historiques, quelques documens sur lesquels on peut fonder des calculs d’une probabilité acceptable. Nous savons par exemple qu’au XIe siècle une église, placée sous l’invocation de Sainte-Adresse, s’élevait au lieu même où gît maintenant, à 2,000 mètres du rivage, le banc de l’Éclat, qui sert de limite extérieure à la petite rade du Havre. La rade elle-même s’est creusée à 8 mètres au-dessous du niveau de la basse mer dans les terres dont l’église occupait l’extrémité. Les érosions n’ont pas suivi sur ce point une marche régulière : elles ont dû commencer par d’immenses dislocations. La petite rade n’a pu s’approfondir, comme elle l’a fait, que par l’amoindrissement local de la résistance de l’argile brune à