Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en résulter et toutes les conditions qu’on y mettait, la lointaine et périlleuse carrière qu’on offrait à sa jeune ambition ; mais il voulait, avant de s’embarquer, qu’une pension à peu près suffisante fût garantie, — et non simplement promise, — à sa malheureuse mère. Quand il eut acquis la certitude que son père était désormais hors d’état de lui donner sur ce point satisfaction complète, il lui déclara respectueusement, mais avec une fermeté inébranlable, qu’il ne quitterait pas l’Angleterre aussi longtemps que vivrait mistress Kean. Le grand tragédien, devant cette résistance inattendue, s’emporta aux plus véhémentes imprécations. Une colère folle animait son regard et faisait vibrer sa voix. Jamais Drury-Lane ne l’avait vu plus terrible. Et ses emportemens redoublèrent encore quand à cette question : « De quoi vivrez-vous, si je vous abandonne ? » son fils eut répondu froidement qu’il monterait sur les planches et y chercherait fortune. Un sourire de pitié à ces mots crispa les lèvres de l’orgueilleux acteur ; mais quand il put croire que son fils parlait sérieusement, et que le nom de Kean, ce nom si retentissant, si haut placé, pouvait déchoir et s’avilir, traîné sur des scènes inférieures par un enfant sans vocation et sans talent, il paraît que sa fureur ne connut plus de bornes. Les invectives les plus méprisantes, l’insulte et l’outrage les plus amers coulèrent comme un torrent sur la tête de ce fils dévoué qui demandait pour sa mère le pain de chaque jour, et en échange donnait sa vie. Inébranlable dans son respect comme dans sa résistance, le jeune Kean sortit sans avoir répliqué un seul mot, mais sans avoir rien rabattu de ses nobles exigences. Il sortit, et pour un temps n’eut plus aucun rapport avec son père.

Ceci se passait au mois de février 1827. Au mois de juillet, l’étudiant d’Eton, revenu provisoirement à l’école, apprenait que ses comptes étaient réglés, que son allocation annuelle lui était retirée, et que les portes du collège par conséquent ne s’ouvriraient plus devant lui. Brusque déclassement, chute soudaine, dont il pouvait déjà comprendre les conséquences ! Quelques jours en effet avant la fin de l’année scolaire, un de ses plus anciens camarades de classe, un jeune lord qui jusqu’alors le traitait avec tous les dehors de la cordialité la plus sincère, le voyant fort abattu, s’était informé des causes de cette tristesse incompréhensible. Charles saisit avec empressement cette occasion de verser, dans un cœur ami le trop-plein des peines qui depuis plusieurs mois obsédaient le sien. Il lui raconta, sous le sceau du secret, et sa déplorable situation et les résolutions extrêmes auxquelles il se voyait poussé. Le jeune patricien l’avait écouté du plus beau sang-froid. — Le parti que vous prenez, lui dit-il ensuite, vous fait à mes yeux le plus grand honneur… Toutefois n’oubliez point que, si vous donnez suite à