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gouvernement de ne pas s’empêtrer dans les difficultés et les responsabilités d’un congrès, et dans le cas où de sérieux dangers extérieurs menaceraient l’Angleterre, il a promis au cabinet actuel l’appui de son parti. M. Disraeli a été surtout explicite à cet égard, et ses paroles méritent d’être citées. « Je ne suis point de ceux, a-t-il dit, qui viennent répandre sur le marché des clameurs ambiguës. Ce n’a jamais été ma coutume. J’ai toujours été le défenseur d’une politique pacifique, j’ai toujours été d’avis que nous ne devions pas scruter la conduite de nos alliés avec un esprit soupçonneux et litigieux, que nous devions au contraire toujours donner à leurs actes une interprétation loyale et même généreuse ; mais je fermerais les yeux aux signes du temps, je serais insensible aux sentimens que j’entends universellement exprimer, je les traiterais avec une négligence hautaine, si je méconnaissais l’anxiété de ce grand peuple. Je ne prétends pas connaître les secrets d’état ; mais, à l’honneur de notre constitution et de la chambre où je suis fier de siéger, je dirai que s’il est un gouvernement étranger qui croie qu’à la faveur de nos dissensions politiques il pourra poursuivre des plans ambitieux et agressifs, ce gouvernement se trompe sur le génie de la constitution anglaise et du peuple anglais. S’il compte sur nos dissensions et sur les nobles rivalités de notre vie publique pour le succès de ses desseins, le résultat tournera à sa confusion. On verra, si jamais l’indépendance de ce pays ou l’empire de notre reine était menacé, on verra que la souveraine de ce royaume règne sur un peuple dévoué et un parlement uni. » Deux jours après cette solennité politique, M. Disraeli prononçait à Manchester un discours plus remarquable encore. Il était accompagné de plusieurs membres de l’aristocratie, et pourtant l’apparence de cette réunion était plus modeste, quoiqu’un intérêt vraiment social en fût l’objet. Il s’agissait de distribuer des prix à une assemblée de plusieurs centaines d’ouvriers qui, après le travail de la manufacture, viennent suivre les classes du soir des mechanics’ Institutes. M. Disraeli a adressé à tous ces intéressans travailleurs une de ces allocutions cordiales, sensées, généreuses, qui relèvent les classes populaires, qui les encouragent et les soutiennent dans leurs virils efforts, qui leur apprennent et les aident à monter dans l’échelle sociale. Le marquis de Chandos et lord Stanley escortaient M. Disraeli, enfant de ses œuvres, qui donnait à ces ouvriers un parlant exemple des succès que peuvent obtenir la persévérance, l’application et la volonté dans une société aristocratique. Nos ignorans déclamateurs qui cherchent à exciter de détestables préjugés et de grossières passions contre le prétendu égoïsme de l’aristocratie anglaise pourraient-ils nous citer beaucoup de réunions semblables dans les sociétés qui, comme la nôtre, se targuent tant de leur démocratie ?

L’Allemagne a, ces jours derniers, donné à l’Europe un spectacle unique et digne d’intérêt à divers points de vue : nous voulons parler des fêtes du centième anniversaire de la naissance de Schiller. Ce qui frappe dans cette admirable manifestation nationale, c’est l’unanime élan avec lequel elle a été préparée, organisée et célébrée dans toutes les parties de l’Allemagne. Un trait non moins singulier de ce prodigieux enthousiasme, c’est qu’un poète en soit l’objet. Dans cette époque intermédiaire du XIXe siècle si mal disposée pour la poésie, dans ce temps de chemins de fer, de hauts-fourneaux