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corps singuliers, l’astronome s’engage sur le théâtre le plus inexploré des phénomènes cosmiques : il ne pèse plus seulement des masses, il ne mesure plus seulement des distances ; il assiste, si l’on me permet ce mot, à l’embryogénie de la matière, à ses métamorphoses les plus curieuses ; il la voit se condenser sous la forme d’un noyau plus ou moins opaque, ou se dilater avec une vélocité inouïe ; il réunit ainsi les documens qui doivent servir un jour de base à la cosmogonie scientifique.

Les services que les premiers astronomes américains ont rendus à la science ne sont pas, comme on le voit, sans importance. Nous applaudissons pour notre part d’autant plus vivement à leurs efforts, que l’on a souvent représenté la démocratie, et particulièrement la démocratie américaine, comme ennemie de l’intelligence, des lettres, des sciences, des beaux-arts. La plupart des grands noms qui illustrent et honorent l’esprit humain se présentent à nous, il est vrai, sous quelque grand patronage et dans le cortège d’un prince ; mais combien est-il de ces hommes privilégiés dont le génie indépendant n’a rien dû à personne ? L’estime et l’admiration d’une société libre sont des encouragemens aussi puissans pour le talent et le génie que des complimens tombés d’une bouche souveraine, et on pourrait difficilement trouver un pays où les réputations scientifiques et littéraires soient tenues en aussi grand honneur que dans la république américaine. À défaut d’une aristocratie de naissance, il se constitue forcément une aristocratie de l’esprit, d’autant plus puissante qu’elle est toute personnelle, d’autant plus respectée qu’elle ne prétend à d’autre privilège que celui de contribuer pour la part la plus large à améliorer la condition des hommes. Ce respect de la pensée, ces sympathies qui entourent aux États-Unis les savans, les poètes, les historiens, doivent rassurer ceux qui redoutent que l’activité inouïe de cette grande société démocratique et le déchaînement des intérêts matériels ne laissent place dans les âmes qu’à l’amour de la richesse, à la poursuite de plaisirs sans grâce et sans poésie, au goût de l’ostentation, au mépris du malheur et de la faiblesse. Si quelque chose peut prémunir les Américains contre ces ridicules et ces vices, c’est un salutaire respect pour les œuvres désintéressées de l’intelligence, c’est un continuel effort pour ennoblir et purifier par l’éducation les sentimens qui forment en quelque sorte l’atmosphère morale des nations.


AUGUSTE LAUGEL.