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un mode d’action employé vis-à-vis des journaux, et une déclaration de sentimens en faveur de l’alliance anglaise. Nos opinions connues sur la liberté de la presse nous dispensent de dire ici que ce mode d’action nous paraît contestable, au double point de vue des intérêts du gouvernement et des intérêts des journaux ; mais nous applaudissons sans réserve aux sentimens manifestés par le ministre de l’intérieur en faveur du maintien des bons rapports entre la France et l’Angleterre. La répudiation par le gouvernement des absurdes et périlleuses déclamations de la presse officieuse contre la politique anglaise ne pouvait être plus opportune, et déjà l’on en voit l’heureux effet dans le ton singulièrement radouci de la presse anglaise à notre égard.

Mais un quos ego gouvernemental ne suffit point pour résoudre la question de nos relations avec l’Angleterre. Le maintien des bonnes relations dépend surtout de la conduite politique que la France voudra tenir en Europe, et le meilleur moyen d’assurer cette conduite dans les voies pacifiques, c’est de vouloir bien comprendre le caractère qui a distingué la politique anglaise dans les dernières quarante-cinq années. Il y a pour l’Angleterre deux politiques possibles que nous allons essayer de définir, et le point critique de la situation actuelle, c’est qu’en ce moment, si nous persistons davantage dans la méprise où nous nous sommes engagés depuis les trop fameuses adresses des colonels, nous pousserions de nos propres mains l’Angleterre vers la politique qui serait la plus funeste à nos intérêts.

Malheureusement des deux politiques qui sont ouvertes à l’Angleterre, la plus connue et même, à vrai dire, la seule connue en France, c’est la politique hardie, opiniâtre, belliqueuse et envahissante du passé, qui se personnifie dans les figures de Chatham et de Pitt. C’est la politique qui mêlait activement l’Angleterre dans les luttes du continent, qui lui inspirait dans ces luttes une rivalité acharnée contre nous, qui en faisait l’âme et le plus énergique bras des coalitions formées contre la France. Lorsque l’Angleterre pratiquait cette politique de haine et de guerre, elle gardait exclusivement pour elle-même les principes de ses libres institutions, et ne subissait point d’influence morale qui l’obligeât à consulter les intérêts généraux de la liberté dans le choix de ses amis et de ses ennemis au dehors. Dans ce temps-là, elle ne connaissait point ces scrupules qui honorent les peuples comme les individus et qui les détournent de certaines alliances qui serviraient peut-être leurs intérêts, mais qui desserviraient leurs principes. Dans ce temps-là, l’Angleterre se souciait bien plus en Europe du concours des souverains que de l’amitié des peuples. Dans ce temps-là, elle regardait la Russie comme son alliée traditionnelle en dépit du partage de la Pologne ; elle comptait sur l’Autriche comme sur son armée du continent, sans s’inquiéter si l’Autriche opprimait la Hongrie ou l’Italie ; elle allait même jusqu’à courtiser l’amitié du pape, si elle pouvait recruter dans la cour de Rome un ennemi de plus contre la France. Les hommes d’état anglais à cette époque ne voyaient dans la politique européenne qu’un duel de puissance entre la France et l’Angleterre ; toute considération cédait pour eux aux nécessités de la lutte. Ils sacrifiaient l’intérêt du bon gouvernement des états européens à l’intérêt des souverains qui leur prêtaient les forces de ces états ; ils