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n’en soit pas le seul auteur, et son nom est resté attaché à la politique qui en découle. L’illustre citoyen, auquel la reconnaissance publique a élevé une statue, tomba en 1837 victime d’une sédition militaire. Lorsqu’on rapporta son corps labouré par les baïonnettes, il y eut dans le public une commotion d’horreur contre l’esprit de révolte, les ambitions, le militarisme, fléau des républiques. Ce sentiment profita à la présidence suivante, celle du général Bulnès. Ce fut une période d’apaisement et de progrès pacifique, dont le pays a gardé bon souvenir. Le général avait pour principal ministre un jeune homme, M. Manuel Montt, précédemment directeur de l’Institut national, après y avoir rempli avec distinction la chaire de droit romain.

Malgré le silence des factions, la vie intellectuelle n’était pas suspendue ; bien au contraire. M. Montt, qui devait sa célébrité et sa fortune politique au professorat, restait plein de zèle pour l’instruction publique. L’Institut national, qu’on avait réorganisé sur de larges bases en réunissant aux hommes distingués du pays des professeurs appelés d’Europe, devint un foyer d’élaboration pour les idées progressives. L’esprit chilien est naturellement réfléchi, pénétrant, plus porté à l’exercice du raisonnement et de la parole qu’aux sciences d’observation. Les cours de littérature, de législation, de droit public, d’économie politique, étaient les plus suivis. En compulsant les Anales de la Universidad, publiées mensuellement, je trouve que les thèses ou lectures publiques que les jeunes auditeurs ont usage de faire roulent de préférence sur la science sociale, par exemple l’organisation du pouvoir municipal, les limites du pouvoir judiciaire, le jury, la nécessité de l’éducation populaire. À cette école se formait une jeunesse ardente, appelée, comme héritière des familles principales, à coopérer plus tard à l’administration. Les esprits s’imprégnaient ainsi d’idées nobles et justes sans doute, à les considérer d’une manière abstraite : on oubliait seulement que les peuples naissans ont besoin de la tutelle du pouvoir, et qu’un certain apprentissage est nécessaire pour l’exercice des libertés publiques. La nouvelle de la révolution de 1848, tombant au milieu de ces élémens, les mit en incandescence. L’époque de la réélection présidentielle approchait ; c’était une occasion pour les jeunes progressistes d’introduire leur idéal dans le domaine de la réalité. De leur côté, les pelucones sentaient plus que jamais le besoin d’une direction habile et énergique. Ils ne pouvaient mieux choisir que le premier ministre du général Bulnès. Grâce à leur appui, M. Montt fut nommé président de la république.

Les élections de 1851 avaient surexcité les passions politiques au plus haut point. Le progressisme inconsidéré faisait éclore un