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socialisme destructeur. Une insurrection éclata d’une manière formidable sur plusieurs points du territoire. Le jeune président osa confier le commandement de l’armée à son prédécesseur. Le général Bulnès, déjà connu par de beaux faits d’armes, abattit bientôt l’insurrection par un coup décisif ; puis, rentrant dans la vie privée, il donna à l’Amérique du Sud un exemple bien nouveau et dont elle avait grand besoin, celui d’un chef victorieux abaissant son épée devant une magistrature civile.

Le pouvoir restait sans contestation aux mains de M. Montt ; mais le fardeau était lourd à porter. Après une révolution avortée, les vainqueurs sont plus difficiles à discipliner que les vaincus. Parmi les pelucones, chacun s’honorait de conserver les traditions de Portalès, mais chacun aussi les interprétait à sa manière. Pour le plus grand nombre, c’était tout simplement le pouvoir exécutif mis à la discrétion de la classe prépondérante ; pour quelques autres, au nombre desquels se trouvait sans doute M. Montt, cette espèce de veto attribué au président devait être non-seulement le moyen de préserver les intérêts légitimes du parti conservateur, mais encore un frein pour préserver les pelucones de ces penchans rétrogrades qui les auraient conduits à leur perte. Pour faire diversion aux controverses irritantes, M. Montt annonça une phase de travaux administratifs, de progrès efficaces auxquels les citoyens de toute classe devaient s’intéresser. Son principal auxiliaire dans cette tâche fut son ancien collègue et successeur dans la direction de l’Institut, M. Antonio Varas, homme d’état qui, par son ardeur au milieu des luttes politiques, a souvent irrité ses adversaires, mais dont aucun Chilien, ami ou ennemi, n’a jamais mis en doute les hautes capacités. Nous allons voir comment a été exécuté le programme de 1851.

La base de tous les travaux administratifs, le premier outil du progrès, c’est une bonne statistique de la population. À cet égard, le Chili avait beaucoup à désirer. Les dénombremens antérieurs, faits sans méthode et sans beaucoup de soin, ne fournissaient que des indications approximatives. Dès la seconde année de sa présidence, M. Montt se fit allouer par le congrès un crédit de 150,000 fr. pour exécuter un recensement sur une vaste échelle, avec les précautions usitées dans les pays éclairés, où l’on tient à l’exactitude des renseignemens. Un décret du 25 février 1854 fixa le 29 avril suivant comme le jour où l’opération devait être effectuée simultanément dans toute l’étendue de la république. Les tableaux à remplir devaient indiquer pour chaque individu le sexe, l’âge, l’état civil, la profession ou industrie, le degré d’instruction, la nationalité des habitans d’origine étrangère, et même les non-valeurs résultant des incapacités physiques. Cette enquête donna lieu à une