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qui le considérait comme sa créature. D’un autre côté, la seule pensée du rétablissement des jésuites avait causé dans la société chilienne autant de mécontentement que de surprise. On comptait sur le bon sens et la fermeté de M. Montt pour faire avorter cette tentative. Le gouvernement prit l’attitude de la neutralité et laissa l’affaire suivre son cours légal. Il advint que le projet, patroné par le sénat, subit à la chambre des députés un échec retentissant, une de ces déroutes qui font date dans les souvenirs. À tort ou à raison, on attribua ce résultat à une mystérieuse intervention du gouvernement, et parmi ceux dont les calculs venaient d’être déçus, il s’amassa contre M. Montt et ses auxiliaires une de ces rancunes qui ne pardonnent pas.

On touchait à l’époque de l’élection présidentielle. Entre le dépositaire du pouvoir et les classes qui prétendaient donner l’impulsion, les causes de mésintelligence étaient déjà nombreuses ; mais une prospérité évidente, un épanouissement général avaient succédé aux terreurs de 1851 : on était dans une de ces phases trop rares où les peuples aiment à se laisser vivre doucement. On jugea imprudent d’ouvrir carrière à de nouvelles agitations. Toutes les fractions du parti conservateur, y compris les pelucones, se mirent d’accord pour prolonger de cinq ans la présidence de M. Montt. La réélection de 1855 se fit presque à l’unanimité. À juger par ce seul indice de l’état des esprits, il eût été bien difficile de soupçonner l’existence de ces ressentimens occultes qui devaient bientôt faire explosion.

Le premier éclat eut lieu dès le mois d’octobre 1856. L’archevêque de Santiago se refusait alors à reconnaître un jugement de la cour suprême de justice lui intimant l’ordre de suspendre les effets de certaines censures prononcées par lui contre deux chanoines. Il faut savoir que la législation chilienne a respecté les règles de l’ancien droit canonique, qui autorisait l’appel comme d’abus, c’est-à-dire le recours du prêtre molesté par son supérieur auprès du pouvoir civil, et pour un pays essentiellement catholique c’est la preuve d’un remarquable bon sens que de n’avoir pas accueilli les maximes nouvelles de l’ultramontanisme, qui, en introduisant l’absolutisme dans le gouvernement intérieur de l’église, en privant les membres du clergé inférieur de tout recours contre l’arbitraire, les livre trop souvent à ces colères muettes qui sont les plus dangereuses. La cour suprême de justice avait donc rendu un jugement en faveur des deux chanoines, et, en raison de la résistance hautaine que lui opposait l’archevêque, elle menaçait de prononcer contre celui-ci une sentence de bannissement. Le prélat et sa fervente clientèle se tournèrent alors du côté du gouvernement, sollicitant son intervention