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en faveur de la religion opprimée. Que pouvait le président en cette circonstance ? Casser de son autorité privée un jugement rendu conformément aux lois, c’eût été le renversement de tous les principes, un véritable coup d’état.

Le clergé, ou, pour mieux dire, la partie militante de ce corps, comprit qu’elle ne devait plus compter sur la docilité du gouvernement, et elle chercha ailleurs son point d’appui. Sous prétexte de défendre les immunités ecclésiastiques contre les empiétemens du pouvoir civil, et comme si l’archevêque, mis en péril, avait besoin d’être couvert par une sorte d’avant-garde, il se forma à Santiago une société mystique et politique à la fois sous l’invocation de saint Thomas de Cantorbéry. Ce nom, qui symbolise la lutte du clergé contre l’état, indiquait assez l’attitude que le prélat allait prendre. Que les pelucones se fussent empressés d’adhérer à la ligue sainte, d’offrir à l’archevêque l’appui de leur crédit, de leur fortune, surtout dans le cas où la menace de bannissement aurait été poussée jusqu’à l’exécution, cela semble dans l’ordre naturel des choses ; mais ce qui dut causer un légitime étonnement, ce fut de voir les hommes qui en 1851 avaient combattu l’élection de M. Montt sous le drapeau du libéralisme radical, des libres penseurs, dont quelques-uns avaient scandalisé la dévote société chilienne par des hardiesses en matière de religion, sortir tout à coup de leur longue apathie et apporter chrétiennement à l’archevêque soi-disant opprimé le tribut de leur coopération.

Un désistement des chanoines plaignans mit fin à ce conflit. Pendant cette crise, le gouvernement avait pu constater que deux de ses anciens alliés, le peluconisme et le clergé, lui étaient devenus complètement hostiles, et qu’en même temps des ressentimens mal éteints couvaient parmi les radicaux. Telle était la situation respective des partis à l’ouverture de la session législative en juin 1857. L’initiative parlementaire, dont un abus si étrange avait été fait à propos du rétablissement des jésuites, devint pour la seconde fois une arme de guerre tournée contre le pouvoir exécutif. Un certain nombre de citoyens chiliens, une soixantaine, je crois, étaient encore sous le coup des sentences de bannissement prononcées à la suite du soulèvement de 1851. Un projet d’amnistie impliquant l’abolition des peines et des poursuites pour cause politique fut proposé subitement par un sénateur, M. Juan de Dios Correa, et ce projet fut discuté et adopté dans la même journée, à la grande stupéfaction du public, et surtout du gouvernement. Le piège était tendu avec adresse. Un gouvernement a toujours mauvaise grâce à repousser un acte de clémence. Si le président refusait de s’associer au projet du sénat, il encourait l’impopularité, et des vaincus de 1851 il se faisait des ennemis