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patrie et commencent un voyage, ou mieux une conquête pacifique, qui d’étape en étape leur a fait accomplir le tour du monde. Partout ils apportent aux nations qui les accueillent des élémens nouveaux de prospérité : ils changent en bien-être, en richesse peut-on dire, la pauvreté séculaire de populations entières ; ils activent le commerce et lui créent des branches nouvelles ; ils surexcitent l’esprit d’invention et lui font accomplir des prodiges. Ces bienfaits, il est vrai, ont leurs dangers pour ceux qui les acceptent avec imprévoyance, et prennent l’habitude d’évaluer toujours les succès du lendemain d’après ceux de la veille. Comme toutes les industries, celles qui se rattachent à l’exploitation du mûrier et du ver à soie ont leurs périodes de prospérité et leurs jours de revers. La sériciculture a donc eu parfois à payer un douloureux tribut ; elle traverse en ce moment une épreuve terrible. Rappeler ce qu’elle a été dans les siècles passés, ce qu’elle était devenue en France, dire ce qu’elle est aujourd’hui, ce qu’elle peut espérer ou craindre dans l’avenir, tel est le but de ce travail[1].


I

Quelle est la patrie première du ver à soie ? En réponse à cette question, la plupart des naturalistes, et Latreille en tête, n’hésitent pas à désigner la Chine septentrionale ; mais peut-être cette indication est-elle trop restreinte. Si les King nous montrent la sériciculture déjà existante dans les temps à demi fabuleux des Yao et des Chun, le code de Manou nous enseigne que les Aryens connaissaient la soie à une époque bien reculée aussi. La recevaient-ils tout ouvrée des mains des Chinois, ou bien avaient-ils emprunté à ces derniers

  1. Pour esquisser cette histoire de la sériciculture, j’ai consulté principalement le travail de M. de Gasparin intitulé Essai sur l’histoire de l’Introduction du Ver à soie en Europe. Aux documens renfermés dans cet ouvrage j’ai ajouté ceux que m’ont fournis le Théâtre de l’Agriculture d’Olivier de Serres, les mémoires de l’abbé de Sauvages et divers écrits de MM. Desnoyers Rapport sur les communications faites par divers correspondons du ministère, et particulièrement sur la culture du mûrier et des vers à soie, etc., Duchartre article Mûrier dans le Dictionnaire universel des Sciences naturelles, Pauthier Résumé de l’histoire et de la civilisation chinoise, Grimaud de Caux articles publiés dans le Commerce séricicole, Pardessus Mémoire sur le Commerce de la soie chez les anciens, Grognier Recherches historiques et statistiques sur le mûrier, le ver à soie et la fabrication de la soierie, Fraissinet Guide du Magnanier, Duseigneur Maladie des vers à soie, inventaire de 1858, Cornalia Rapport de la commission de l’Institut lombard. Les renseignemens oraux qu’ont bien voulu me donner Mme Vallardi, mon confrère M. Decaisne et MM. Kaufmann, Méritan, Dorrel et Nadal ont éclairci plus d’un fait de détail. Enfin M. Stanislas Julien a levé les difficultés résultant de quelques contradictions qu’on rencontre dans les auteurs qui ont écrit sur les origines de la sériciculture chinoise.