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l’insecte qui la produit et les enseignemens séricicoles nécessaires ? Cette dernière opinion est généralement adoptée ; elle se fonde principalement sur la croyance que le mûrier, auquel se rattache intimement l’existence du bombyx mori, ne vit à l’état sauvage que dans le nord de la Chine. C’est de là, pensait-on, que l’arbre et l’insecte auraient été transportés dans l’Inde, où la culture seule les aurait propagés. Depuis quelques années cependant, l’aire d’habitation du mûrier sauvage s’est considérablement étendue. Les Anglais l’ont rencontré sur les pentes de l’Himalaya oriental, et tout récemment M. À Bunge, professeur à Dorpat, vient de le découvrir en Perse. Il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce que le ver à soie fût originaire des régions élevées de l’Inde aussi bien que des plaines arrosées par le fleuve Jaune, et que les Aryens de l’Inde eussent trouvé la sériciculture tout aussi bien que les Chinois.

Ces derniers font remonter à l’antiquité la plus reculée leurs titres de premiers inventeurs. À en croire les lettrés, Fou-hi, l’empereur au corps de dragon et à la tête de bœuf, aurait imaginé deux instrumens de musique dont les cordes étaient en soie, et cela 3,400 ans environ avant l’ère chrétienne ; mais ce fait, fût-il prouvé, n’impliquerait pas que dès cette époque la sériciculture fût née. Avant de cultiver le mûrier et de bâtir des magnaneries, on a dû, pendant des siècles sans doute, se contenter de récolter les cocons déposés sur les arbres. Les traditions chinoises s’accordent pleinement avec cette hypothèse, indiquée par le bon sens. C’est en effet au règne de Hoang-ti, 2650 ans seulement avant notre ère, qu’elles rapportent les premiers essais d’éducation domestique du ver à soie ; elles ajoutent que cette innovation fut due à l’impératrice Si-ling-chi, qui découvrit aussi et enseigna à ses sujets l’art de filer le cocon et de tisser la soie. Qu’y a-t-il d’exact dans ces antiques récits ? Je l’ignore, mais j’aime à croire vraie une légende qui attribue à une femme l’invention des soieries. On pourrait peut-être invoquer en faveur de cette tradition populaire le témoignage des autres légendes qui ont consacré le souvenir de Si-ling-chi par une sorte d’apothéose, et élevé l’épouse de Hoang-ti au rang des génies sous le nom de Sien-thsan (la première qui a élevé des vers à soie).

L’utilité des insectes une fois connue, l’arbre qui les nourrit dut appeler bien vite l’attention d’un peuple aussi industrieux que les Chinois. La culture du mûrier prit sans doute naissance vers cette époque ; elle acquit promptement une importance qu’attestent quelques-uns des plus anciens documens historiques. En énumérant les travaux entrepris par Yu pour remédier aux désastres du grand déluge de Yao et pour faire écouler les eaux, le Chou-king nous apprend que, dans la province de Yen, aujourd’hui Chang-toung, deux