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peut être étudié avec fruit. Le même peintre fit encore à l’huile la répétition de ce carton qui se trouve au musée de Brera.

Ce sujet de la Cène n’avait été traité que très exceptionnellement par les peintres antérieurs à Léonard. Négligé par les écoles de Venise, de Sienne et d’Ombrie, les maîtres florentins paraissent être les seuls qui s’en soient occupés. Le Cénacle que Giotto et ses élèves peignirent dans l’ancien réfectoire de Santa-Croce à Florence, les deux fresques du même genre qu’exécuta Domenico Ghirlandajo dans celui de Saint-Marc et dans celui d’Ognissanti, sont les seuls ouvrages représentant ce sujet qui méritent une mention. Ces peintures ont la grandeur et l’élévation qu’on est habitué à rencontrer dans toutes les productions de cette admirable école ; mais l’art, avec Giotto et même avec Ghirlandajo, manquait de la souplesse nécessaire pour vaincre les difficultés particulières à ce sujet. Ces compositions grandioses et austères sont raides ; les personnages, immobiles sur une seule ligne, ne marquent ni par leurs gestes ni par leurs expressions les sentimens qui doivent agiter leur âme. Plus sévères chez l’un de ces maîtres, déjà plus vivans chez l’autre, ils ne concourent point à l’action, qui n’a rien de cette unité puissante et de cette prodigieuse variété que Léonard devait mettre dans son chef-d’œuvre. Si l’on se reporte au temps où cet ouvrage fut exécuté, on ne peut qu’être émerveillé du progrès immense que Léonard fit faire à son art. Presque le contemporain de Ghirlandajo, condisciple de Lorenzo di Credi et du Pérugin, qu’il avait rencontrés dans l’atelier de Verrocchio, il rompt d’un coup avec la peinture traditionnelle du XVe siècle, il arrive sans erreurs, sans défaillances, sans exagération et comme d’un seul bond, à ce naturalisme judicieux et savant également éloigné de l’imitation servile et d’un idéalisme vide et chimérique. Chose singulière, le plus méthodique des hommes, celui qui parmi les maîtres de ce temps s’est le plus occupé des procédés d’exécution, qui les a enseignés avec une telle précision que les ouvrages de ses meilleurs élèves sont tous les jours confondus avec les siens, cet homme dont la manière est si caractérisée n’a point de rhétorique. Toujours attentif à la nature, appuyé sur elle, la consultant sans cesse, il ne s’imite jamais lui-même. Le plus savant des maîtres en est aussi le plus naïf, et il s’en faut que ses deux émules, Michel-Ange et Raphaël, méritent au même degré que lui cet éloge.

La peinture murale de Sainte-Marie-des-Grâces ne compte pas moins de 8 mètres 60 centimètres de large sur 4 mètres 51 centimètres de haut. Les personnages ont près de 3 mètres. Dans son dessin général, elle ne diffère en rien d’essentiel de celles de Giotto et de Ghirlandajo. C’est une peinture sur un seul plan. Si affranchi qu’il