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et à la taxe sur les ventes, ils substituèrent une capitation en proportion des revenus ; mais ici encore que de maladresse, pour ne pas dire pis. La proportion était en sens inverse de la justice et du bon sens : les plus pauvres, possédant moins de 100 livres de rentes, devaient payer 5 pour 100 ; ceux qui atteignaient les 100 livres, 4 pour 100 ; ceux qui étaient plus riches, 4 pour 100 pour les premières 100 livres, et 2 pour 100 pour le reste. S’il faut juger les hommes par leurs actes, il y avait ici autre chose encore que « l’insuffisance, » il y avait l’iniquité et l’égoïsme. Nos pères de la bourgeoisie n’étaient guère en ce moment, il faut l’avouer, les vrais protecteurs du peuple. Mais qui donc les conduisait encore dans cette session ? Toujours cet Etienne Marcel, « dont il est impossible de ne pas reconnaître les idées et l’influence dans les résolutions des états de 1355 comme dans tout le reste, » et ce Charles le Mauvais, « dont il faut voir la main dans ces révoltes et dans ces agitations. » Le roi, qu’on accuse volontiers de mettre obstacle à tout, n’empêche rien, et les états construisent tranquillement leur absurde république au milieu d’une telle société et d’un tel siècle, sans même songer à en tirer, comme en 1792, le moindre élan d’énergie nationale contre l’invasion étrangère.

Aux états de 1356, après la bataille de Poitiers, quand le roi est captif en Angleterre, quand les calamités et les périls se sont accrus à l’infini, les députés montreront-ils plus d’intelligence, de modération, de patriotisme désintéressé ? Non, ils sèment de nouveaux désordres, et ajoutent des haines, des vengeances, des proscriptions aux extravagances anciennes. Ils votent un impôt nécessaire à la défense du pays, mais en réservant, chacun pour ses commettans, le droit de ne pas le payer, ce qui était la dérision dans l’anarchie. Ils exigent du dauphin qu’il destitue immédiatement sept des officiers qui ont sa confiance, et veulent les mettre en jugement devant une commission formée par eux-mêmes ; ils demandent de plus que leurs biens soient confisqués d’avance, en attendant qu’on les juge. Et quels sont les griefs qu’on élève contre ces officiers ? « On les accusait d’être vains, cupides, incapables, indifférens au bien public, de vouloir pour eux tous les avantages, » en un mot on leur reprochait tout ce qu’il y a de plus vague et de plus ridicule, tout ce qu’inventent l’envie et l’intrigue en ces jours mauvais où elles peuvent exploiter impunément la crédulité publique. Les états demandent ensuite que Charles le Mauvais, prisonnier dans Avignon, soit remis en liberté : sans doute les fermens de discorde n’étaient pas encore assez nombreux ni assez échauffés. Puis ils demandent que le dauphin se prive de ses conseillers intimes, et qu’à l’avenir son conseil soit nommé par l’assemblée ; « c’est moins un conseil qu’ils donnaient au dauphin qu’une tutelle et des maîtres. » Ce nouveau conseil dirigerait toute l’administration par commissaires ; à la royauté il resterait l’inutile veto. « Ainsi, dit M. Perrens, la nation prenait possession d’elle-même et s’essayait au gouvernement de ses propres affaires ; elle ne conservait guère de la monarchie que le nom ; en