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plein moyen âge, elle avait imaginé le système constitutionnel des temps modernes, auquel il ne manquait qu’une plus juste pondération des pouvoirs, » c’est-à-dire qu’il n’y manquait que l’essence même du système constitutionnel. La nation prenait possession d’elle-même ! Mais nous voyons quelques lignes plus bas que les bourgeois nommés au conseil n’y allaient presque jamais, qu’ils n’étaient en quelque sorte que des conseillers honoraires ou extraordinaires, et qu’ils se contentaient en général d’être représentés par les évêques de Laon et de Paris ; c’étaient ceux-ci qui, sous l’inspiration d’Etienne Marcel et de Charles le Mauvais, avaient « pris possession » de la nation. Au reste, dans la session de 1357, on trouva moyen d’ajouter encore des folies à ces folies. On avait désigné à la destitution et à la confiscation sans jugement sept officiers royaux ; on en désigna quinze autres, et pour tout désorganiser d’un seul coup, « ils voulurent que tous les officiers du royaume fussent provisoirement suspendus, jusqu’à ce que des réformateurs nommés par l’assemblée eussent fait un examen minutieux de la manière dont ils avaient exercé leurs charges, afin d’exclure les mauvais et de ne conserver que les bons. » Il est vrai que la nation n’avait plus cette fois pris possession d’elle-même : peu de députés étaient venus à Paris ; les provinces murmuraient contre cette bourgeoisie parisienne, qui semblait abuser un peu trop de « ses lumières supérieures. » Nous ne pousserons pas plus loin cet examen, dont tous les élémens sont empruntés à l’ouvrage même que nous combattons. Les événemens qui suivent ne manifestent plus qu’un de ces entraînemens révolutionnaires où les hommes ne sont plus assez libres de leurs pensées et de leurs actes pour qu’on puisse les juger.

Nous voici donc arrivés par cet examen à adopter avec une plus forte conviction ce que nous avions déjà reçu sur la foi de la plupart des historiens. On ne réhabilitera point ces états du xive siècle, qui essayèrent de sortir en quelque sorte de leur temps, et de substituer un pouvoir élu à l’autorité royale. Eussent-ils mis plus de modération dans leurs entreprises, elles n’auraient abouti à rien de stable. La base manquait à une si grande construction. Trop de choses restaient encore à faire avant d’en venir là. La difficulté des communications, la diversité des intérêts, l’opposition des castes, l’esprit local, tendaient sans cesse à disloquer les assemblées et à livrer la place à une oligarchie parisienne : de là le danger toujours imminent des séparations, des démembremens, des républiques municipales, grands auxiliaires pour les ennemis du dehors. Sans doute il circulait d’excellentes idées de réforme sur des objets particuliers ; en concentrant tous leurs efforts sur ces objets, les états auraient pu faciliter et accélérer le mouvement vers l’unité du territoire, de la loi et des classes ; mais leurs prétentions exorbitantes ne montrèrent que leur incapacité : ils osèrent d’autant plus qu’ils comprenaient moins. La royauté, réduite à un vain nom, parut un moment s’éclipser devant eux ; mais, comme toutes les choses qui ont leur raison d’être, elle attendît son heure, et reparut plus puissante, avec