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offrir réside pour eux dans la confiance que leur inspire la parole de la France et dans la valeur qu’ils attachent à un document signé par ses agens. L’essentiel est qu’ils comprennent qu’un sacrifice partiel est destiné aies préserver des chances d’une perte totale, et qu’ils n’y soupçonnent point au contraire les préliminaires d’une spoliation déguisée, une sorte d’entrée de jeu pour s’emparer du tout après leur avoir soutiré la moitié. Or, comme tous les faibles qui ont souffert, les Arabes sont très méfians : ils sont accoutumés d’ailleurs à ces formes de commandement dans lesquelles, en l’absence de toute règle, les qualités, les dispositions personnelles du chef, ont une importance décisive, dans lesquelles en un mot la fortune et la vie dépendent souvent de savoir si on a affaire à un intendant humain ou sanguinaire, injuste ou scrupuleux. De l’intermédiaire chargé de leur faire part, en ce cas comme en tous autres, des intentions du gouvernement et de la foi qu’ils attacheront à sa parole, dépendra la promptitude ou la mauvaise grâce de leur soumission.

Enfin ce n’est pas tout de connaître et d’être connu, il faut encore être redouté. Il faut avoir la renommée de la justice, mais il faut inspirer le respect de la force, car en supposant, ce qui nous semble très possible, que la transformation soit agréée de la majorité des membres de la tribu, elle ne plaira jamais à tous : un assentiment unanime est aussi rare en Afrique qu’ailleurs, et probablement ceux à qui elle plaira le moins sont les plus puissans et les plus riches, les plus habitués au commandement. Ce sont ceux-là, en tout pays, à qui toute confusion profite. En l’absence du droit, c’est la force qui prévaut. La tribu, qui touche au communisme par un côté, n’est malgré cela, et peut-être à cause de cela même, que la féodalité à sa suprême puissance : elle enchaîne le petit au grand, en lui refusant le droit de subsister pour son compte. Briser la propriété collective, c’est donc faire une opération démocratique par excellence, qui ne peut manquer de susciter l’opposition, soit ouverte, soit déguisée, de toute l’aristocratie de la tribu. De vieilles prérogatives ne cèdent jamais le terrain sans résistance ni sans arrière-pensée : il faut s’attendre qu’elles mettront en œuvre tous les moyens d’intimidation dont elles disposent, le prestige de la race, les menaces de la religion, l’ascendant d’une ancienne autorité, pour détourner les faibles, soit de contracter, soit de remplir un engagement qui les soustrairait à leur puissance. L’unique moyen de lutter contre ces efforts, c’est de rendre en certaine mesure intimidation pour intimidation et terreur pour terreur. Autant il faut être sobre de l’emploi de la force pour arracher un consentement qui doit être raisonné pour être valide, autant son déploiement tout entier est légitime pour mettre d’abord en liberté les vœux véritables de la tribu, et la mettre ensuite en devoir de remplir ses conventions.