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Nous arrivons donc ici en présence d’une œuvre nécessaire, décisive, dont l’accomplissement est indispensable, et dont le seul retard est funeste au développement de la colonie, mais d’une œuvre aussi très délicate et très complexe, qui ne peut être consommée d’un trait de plume, comme on trace sur le papier une assertion tranchante, d’une œuvre sans laquelle rien n’est possible, mais qui n’est possible elle-même que par le plus rare mélange de tact, d’adresse, de patience et de force. C’est une œuvre, en un mot, dont le succès dépend essentiellement du choix et du mérite de l’ouvrier. L’examen de la tâche qui doit être remplie va servir ainsi à nous indiquer à qui elle doit être confiée, et nous ramener par un chemin direct, et cette fois en pleine connaissance, des choses aux personnes.


II

Où est-elle en effet, cette administration à la fois connaissant les Arabes et connue d’eux, familière avec leur langue et leurs mœurs, sachant s’en faire écouter et obéir, et propre à leur inspirer, dans un mélange à juste dose, la confiance et la crainte ? Existe-t-elle, ou faut-il nous mettre en frais pour la créer ? En vérité, on se serait plu à tracer le portrait de l’administration militaire, dessiné au naturel dans un bureau arabe, qu’on n’aurait pas fait les traits plus ressemblans, et ce sont pourtant ceux-là mêmes que ses adversaires les plus décidés lui prêtent. Je ne sache point en effet que personne ait contesté à l’administration militaire une connaissance intime de l’intérieur de la société arabe : on lui reproche au contraire d’avoir mis à s’identifier avec les tribus un soin trop complaisant, et d’avoir acquis par une bienveillance excessive trop de titres à leur reconnaissance ; mais il faut bien convenir en même temps que, sur cent champs de bataille encore tout sanglans, elle n’en a pas acquis moins à leur respect. Jamais par conséquent, pour l’espèce d’opération césarienne qui doit extraire des entrailles de la colonie le germe de sa prospérité encore latente, instrument ne fut mieux préparé que celui qu’aiguise depuis vingt ans l’administration militaire. Si, après tant d’années de vie commune, de commandement tour à tour équitable et sévère, tant de sang et de bienfaits tour à tour répandus, les bureaux arabes n’ont point acquis sur les tribus l’autorité nécessaire pour leur faire accepter, sans trop de délais ni de secousses, une transformation indispensable, il y faut renoncer : personne jamais n’en pourra venir à bout.

Mais j’entends la difficulté : on ne dit pas que ce soit le pouvoir, mais on pense que c’est la volonté qui leur manque. On doute de cette volonté précisément parce que, pouvant tout ce qu’ils veulent, ils ont si peu voulu, depuis vingt ans, faire en ce sens tout ce qu’ils