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des généraux, leurs collègues et leurs voisins, que l’impossibilité où ces fonctionnaires civils se trouvent de mettre le moindre plan à exécution sans le concours d’ouvriers armés qui ne leur obéissent pas. Tout ce dont la colonisation a besoin par conséquent en ce genre de facilités matérielles, l’armée peut le lui fournir, et on ne peut l’attendre que d’elle.

Il en va par malheur tout autrement en fait d’attraits pour l’émigration européenne. À quoi servirait en effet de le dissimuler ? Parmi les causes diverses qui éloignent cette émigration d’Afrique, l’existence d’un régime exclusivement militaire, comme on dit, doit être comptée au premier rang, sinon comme une des mieux justifiées, au moins comme une des plus actives. Ces seuls mots ; le régime du sabre, depuis longtemps en possession de desservir les lieux-communs de rhétorique, présentent aux imaginations l’idée d’un mélange d’arbitraire intermittent et de compression continue. Il n’en faut pas davantage pour faire fuir une classe d’hommes qui, précisément parce qu’elle est voyageuse et qu’elle a goût aux aventures, a l’horreur du frein et la manie de l’indépendance. Tout ce qui tient surtout à la race anglo-saxonne, habitué à voir l’autorité représentée par l’innocente verge d’un constable, éprouve, à la vue d’une épée et d’une épaulette qui gouvernent, la plus sincère indignation, tempérée par le plus profond effroi. C’est une sorte d’épouvantail dressé sur les ports d’Afrique, qui fait fuir comme des oiseaux effarouchés tous les intérêts timides. Il ne s’agit pas d’examiner si cette terreur est bien fondée, si l’administration militaire d’Afrique en particulier, assez bénigne de son naturel, mérite d’être représentée comme un de ces animaux fantastiques dont on effraie les petits enfans. Il s’agit encore moins de reprendre un compte que j’ai déjà fait, et de s’assurer que, parmi les torts qu’on lui reproche, beaucoup sont plutôt imputables à sa qualité administrative qu’à sa qualité militaire, et que certaines administrations civiles de ma connaissance, mises à la même épreuve, se seraient montrées, sinon plus rudes, au moins plus tracassières. Il s’agit d’une impression d’imagination contre laquelle la raison est vaine, la discussion impuissante, et qui, rendant le renom du pouvoir militaire aussi nuisible en un sens que son maintien est nécessaire de l’autre, enferme dans une contradiction déplorable le progrès de la colonie.

Je ne vois en vérité, en y réfléchissant, qu’une seule manière d’en sortir, imparfaite sans doute, surtout au début, mais qui à la longue doit réussir à nous dégager de ce cercle vicieux. C’est d’établir hautement une distinction, qui est au fond réelle et possible, bien qu’elle n’ait jamais été mise en pratique parmi nous, entre l’administration militaire et ce qu’on nomme par habitude et par excellence le régime militaire. Parce qu’on est gouverné par des officiers, il n’est pas absolument