Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nécessaire d’être gouverné militairement suivant l’acception commune du mot, c’est-à-dire d’être mis à la discrétion d’une autorité dictatoriale qui absorbe en elle tous les pouvoirs et confisque tous les droits individuels. Dans nos habitudes, le gouvernement militaire et l’état de siège sont des idées tout à fait connexes et semblables, qui entraînent à leur suite la juridiction des conseils de guerre, le l’établissement d’une police inquisitive et la suspension de toute franchise personnelle. Cette association d’idées se conçoit parfaitement dans nos pays civilisés, parce que l’autorité militaire ne prévaut qu’en ces jours de suprême péril où la société épouvantée, ne voyant de recours que dans la force et d’abri que derrière les baïonnettes, sacrifie volontiers toutes ses libertés pour obtenir la plus précieuse de toutes, celle de vivre. Autorité militaire et dictature sont synonymes parmi nous, parce que nos sociétés ne se donnent un militaire pour chef que quand elles cherchent un dictateur. Là cependant où l’autorité militaire est établie par d’autres raisons que l’effroi général et poursuit un autre but que la sécurité momentanée et matérielle, pourquoi ne s’exercerait-elle pas aussi avec plus de mesure et sous d’autres conditions ? Pourquoi ne s’accorderait-elle pas avec le maintien des garanties ordinaires de la justice et de la liberté individuelle ? Parce qu’on a le sabre en main, est-il nécessaire de ne rien avoir à respecter ni à ménager ? En Algérie en particulier, si nous réclamons le maintien du pouvoir militaire en territoire de tribus, c’est parce que nous le croyons plus propre à empêcher les Arabes de reculer vers la voie de rébellion d’où ils sont à peine sortis, et à les faire avancer dans la voie de progrès que nous leur avons ouverte. C’est donc aux Arabes que ce caractère militaire de l’autorité est dédié, et nullement aux Européens qui pourraient être tentés de s’établir parmi les Arabes. Pourquoi ceux-là seraient-ils forcés de renoncer, dès qu’ils mettent le pied en territoire militaire, à des habitudes de toute leur vie, et sur lesquelles repose pour eux tout sentiment de sécurité et d’indépendance ?

À part quelques futiles motifs d’économie, je cherche vainement une raison par exemple pour que tout Européen établi en dehors des étroites limites du territoire civil soit soumis en tout état de cause, pour tout crime, délit ou contravention, à la juridiction militaire ; j’en vois moins encore pour que, même en matière civile et commerciale, un commandant de place (d’ordinaire quelque officier en retraite qui a fait toute sa vie autre chose que des lois et du commerce) soit chargé de faire droit en premier ressort. Depuis quand l’autorité administrative, pour s’exercer efficacement, a-t-elle besoin de se confondre avec le pouvoir judiciaire ? Quelle force puise-t-elle dans cette confusion ? quel secours peut-elle en attendre ? Quelle source d’embarras au contraire, de soucis inutiles, de réclamations