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traquer, les surprendre, les acculer, telle était la mission des généraux anglais, et il faut convenir qu’elle n’était pas des plus simples. La connaissance imparfaite des localités, les divergences des rapports d’espions[1], les chaleurs excessives qui tuèrent plusieurs centaines de soldats européens, les terribles orages de l’Inde, ces tempêtes de sable, comme on les appelle, où le simoun balaie devant lui des montagnes d’une poussière qu’on dirait empoisonnée, voilà ce qui, mieux que leurs fusils et leurs canons, protégeait les cipayes, favorisés d’ailleurs par le concours tacite des populations indigènes. Il a fallu plusieurs mois consécutifs, et plus d’expéditions encore que de mois, pour arriver peu à peu à les refouler vers la frontière du nord, les chasser vers le Népaul, les fatiguer, les réduire en détail : œuvre complexe dont nous n’aborderons pas le récit.

Ce qui nous ramène à Bareilly, c’est le souvenir que nous a laissé le récit de cette bataille (ou de ce combat) tel qu’il se trouve dans le journal du courageux correspondant. Jamais M. Russell n’avait couru de telles chances ou vu la mort de si près. Ses impressions furent vives ; elles ont chaudement coloré la chronique de cette journée, mémorable à ses yeux. Nous nous permettons, tout en lui laissant la parole, d’abréger quelque peu sa vive et pittoresque narration.


« Nous marchions sur Bareilly par une chaussée élevée au-dessus du plat pays ; on l’a ainsi construite pour la mettre à l’abri des inondations. La plaine est coupée de nombreux nullahs (ravins), ce qui gêne en bien des endroits les évolutions des troupes régulières. Le colonel Jones, qui vient pour prendre la ville à revers, est, on le suppose, à une journée de marche. Bareilly se trouve donc bloqué sur deux faces ; mais il reste deux côtés par lesquels la plus grande partie des rebelles pourra s’échapper, attendu qu’ils ont une cavalerie bien plus nombreuse que la nôtre.

« J’ai dit ce matin à mon sycee qu’il eût à tenir mon cheval toujours à portée de la litière où je voyage. Alison et Baird[2] ont donné des instructions analogues à leurs serviteurs. L’ennemi a des milliers de sowars, nous avons seulement quelques centaines de cavaliers. Notre ligne de marche sera très longue, très imparfaitement protégée. Les indigènes aiment beaucoup les attaques de flanc et d’arrière-garde. Notre position spéciale nous expose particulièrement, car nos porteurs, en butte aux insultes des soldats qui

  1. La veille de la bataille de Bareilly, par exemple, plusieurs rapports signalaient la présence à Furreedpore de plusieurs corps ennemis bien pourvus de canons. Un voyageur qui arrivait de cette ville déclara qu’il n’y avait laissé ni un soldat ni une pièce d’artillerie. Le mensonge parut flagrant, et le quartier-maître général fit raser les sourcils, la barbe et les cheveux de l’imposteur, à qui ou administra ce que les Anglo-Indiens appellent « un backshish de bambou, » savoir une forte bastonnade. Le lendemain, il fut constaté que lui seul avait dit vrai. (My Diary, t. Ier, p. 407.)
  2. Les deux premiers aides-de-camp de sir Colin Campbell, tous les deux malades, le dernier de la petite vérole.