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contre ceux des grands feudataires de l’Oude qui n’avaient pas encore déposé les armes. M. Russell, bien rétabli et nullement rebuté par ses mésaventures de guerre, courut rejoindre l’état-major. Sur sa route se trouvaient Meerut, Agra, Mynpoorie, qu’il visita pour la première fois, et Cawnpore, qu’il revit avec de moins sombres préoccupations. D’Allahabad, où le 23 octobre il reprenait sa position quasi-officielle auprès de lord Clyde, il commençait le 1er novembre une seconde campagne qui dura deux mois.

Cette « chasse aux taloukdars, » — lui-même l’appelle ainsi, — fut un tissu de mécomptes quotidiens, de fausses manœuvres, d’avortemens stratégiques. L’ennemi était partout et n’était nulle part. Tantôt il offrait la bataille et disparaissait au moment où on croyait en venir aux mains, tantôt la forteresse où on pensait avoir cerné quelqu’un de ces chefs rebelles, — Bene-Madhoo, Mehndie-Hoosein, Tantia-Topee ou tout autre, — se trouvait évacuée de nuit par ces insaisissables fuyards. Cependant, au prix de marches et de fatigues énormes, on repoussait peu à peu les insurgés vers le nord, et les postes de police établis derrière l’armée dans chacun des districts qu’elle venait de balayer replaçaient le pays sous l’autorité britannique. Un moment vint où les corps insurgés furent rejetés derrière la Gogra. Les soumissions individuelles commencèrent dès le 18 novembre ; les fiers zemindars venaient, l’un après l’autre, faire leur traité de paix. La misère sévissait dans les rangs des rebelles. On savait par le rapport des espions que de graves dissensions s’étaient glissées parmi leurs chefs. Enfin, après un dernier combat (30 décembre 1858), le dernier corps qui restait en-deçà de la Raptie fut rejeté derrière ce cours d’eau et se trouva ainsi sur le territoire du Népaul. Allié plus fidèle et moins indécis, Jung-Bahadour n’aurait pas eu grand’peine à dissoudre ce qui survivait de ces bandes amoindries et désorganisées ; mais soit inertie, soit pour témoigner au gouvernement anglais qu’il ne se regardait pas comme assez largement payé de ses services passés, soit enfin, — ce qui est moins probable, — par un reste de compassion pour des hommes de même race et de même religion, le maharajah ne prit aucune mesure sérieuse contre les insurgés réfugiés chez lui. Pénétrer au-delà de la frontière anglaise était une mesure grave. Lord Clyde ne se croyait pas autorisé à la prendre sans consulter le gouverneur-général. Une chute de cheval était d’ailleurs venue tempérer son ardeur, et lui rendait le repos fort nécessaire. Aussi, dès la première quinzaine de janvier, après avoir reçu à merci plusieurs des principaux chefs rebelles, — mais sans s’être saisi du Nana, dont on avait presque constamment suivi la trace dans les derniers jours de l’expédition, — il reprenait la route de Lucknow, où M. Russell se sépara de lui définitivement le 18 janvier 1859. Sa mission était terminée, et,