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du moins notre tardif printemps. Mai commence, et avec le mois souriant la discussion des mesures qui remanient les tarifs douaniers dans notre corps législatif.

Mais ici un scrupule nous arrête. Cédant à l’impulsion d’un grand nombre de nos lecteurs, qui s’étonnent naïvement du silence que nous gardons sur les travaux du corps législatif, nous allions, étourdiment peut-être, nous occuper de ce qui se passe au palais Bourbon. Nous ne demanderions pas mieux, quant à nous, que de voir la presse éclairer de ses discussions, exciter et accompagner de ses commentaires les travaux de nos assemblées. À notre idée, il importerait à la vie des corps politiques qu’ils fussent entourés comme d’un chœur placé entre la scène et le public, qui, chaque jour et sur-le-champ, recevrait leurs impressions, leur transmettrait celles de l’opinion, et rendrait plus active la circulation de la vie politique entre le pays et ses organes naturels. La presse est appelée à être cet intermédiaire ; mais ce chœur, qui joue un rôle si vivant dans le drame grec, la tragédie française l’a supprimé : cette médiation animée de la presse entre les corps politiques et le public a cessé en France, apparemment pour des raisons très sérieuses. La presse française ne croit pas avoir le droit de se mêler aux discussions du corps législatif. Quelques personnes prétendent pourtant qu’elle a tort, que la loi est moins restrictive qu’elle ne l’imagine, que gratuitement elle redouble par sa pusillanimité les sévérités de la loi. Certes nous ne dirons pas que depuis huit ans la presse française se fasse remarquer »par la bravoure ; nous ne nierons pas qu’elle ne se soit forgé à elle-même des chaînes plus dures que celles qu’une réaction qui commence à vieillir a cru nécessaire de lui imposer. On ne contestera pas néanmoins que les péchés de prudence de la presse ne soient dignes d’indulgence. Par exemple, touchant la question que nous venons de rencontrer sur notre chemin, ses doutes valent la peine d’être pesés.

Nous sommes fort peu instruits en France de l’esprit et de la portée, du régime constitutionnel en vigueur. Les trente-sept années de liberté politique pendant lesquelles la France a vécu, de 1815 à 1852, ont établi dans les esprits une sorte de droit coutumier en matière de liberté auquel nous sommes toujours portés à nous fier par un invincible instinct ; mais il faut contrôler avec soin cette tendance en se référant au droit écrit de 1852. À première vue, nous ne découvrons ni dans la constitution ni dans le décret du 17 février 1852, qui régit la presse, rien qui interdise aux journaux l’appréciation des discussions du corps législatif. Quant aux discussions du sénat, elles sont hors de question : l’article 24 de la constitution porte que les séances du sénat ne sont pas publiques ; la presse est par conséquent tenue de les ignorer ou au moins de ne les connaître que par « les articles insérés au journal officiel, » comme s’exprime l’article 16 du décret du 17 février. Il est vrai que, même sur ce point, la presse pousse quelquefois trop loin les privilèges de son ignorance supposée ; nous venons d’avoir un exemple piquant de cet excès de circonspection. Le journal officiel nous a