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qui l’avait pris pour le premier ministre. On arrêta ce malheureux, et après une enquête il fut envoyé dans une maison de fous. Sir Robert Peel perdait un ami et un confident ; il en éprouva une vive douleur, mêlée d’un certain trouble. Il voyait bien qu’aucune de ses mesures n’avait réussi : le revenu public ne se relevait pas, la détresse persistait. De là un certain mécontentement de lui-même et une sourde irritation qui se partageait entre ceux qui l’attaquaient si vivement et ceux qui le soutenaient si mal. Dès les premières séances, cette disposition se trahit. Amené à s’expliquer au sujet de la loi des grains, il déclara qu’il la maintiendrait. Là-dessus un long débat s’éleva, et dans la cinquième nuit M. Cobden s’y engagea à son tour. Plus d’une fois la ligue avait été mise en cause, et dans les termes les moins mesurés ; les représailles étaient permises. Il dit aux représentans des fermiers que la hausse des blés n’amenait pas la hausse des gages, mais la hausse de la rente du sol, et profitait au propriétaire plus qu’au cultivateur ; il cita des noms, rappela des faits, puis, s’adressant au premier ministre : « Quel autre remède avez-vous, lui dit-il, pour mettre fin à la misère publique ? Vous avez refusé d’écouter les manufacturiers ; vous avez, en persistant dans votre loi, agi selon votre jugement : vous êtes responsable personnellement des conséquences… Oui, la responsabilité de ce déplorable et dangereux état des choses retombe sur vous. » Pendant ce discours, sir Robert Peel s’était contenu avec peine. Quand M. Cobden se fut rassis, il se leva ; un autre conservateur avait demandé la parole ; le ministre s’en empara avec brusquerie en commandant le silence par un geste violent. « L’honorable membre, dit-il avec une émotion visible, vient de répéter ici ce qu’il a répété bien des fois dans les conférences de la ligue, qu’il me regarde comme personnellement responsable de la détresse et des souffrances du pays. Quelles que puissent être les conséquences de ces insinuations, jamais aucune menace ne me fera tenir une conduite que je considère… » Le reste de la phrase se perdit au milieu du bruit. On comprit que le souvenir d’un attentat récent poursuivait sir Robert Peel, et qu’il trouvait dans les paroles de M. Cobden l’équivalent d’une provocation à l’assassinat. Celui-ci ne voulut pas rester sous le poids d’un injurieux soupçon. « Je n’ai point dit, s’écria-t-il, que je regardais l’honorable baronet comme responsable dans le sens qu’il attache à ce mot ; j’ai dit et voulu dire qu’il était responsable à raison de ses fonctions, et l’ensemble de mon discours explique nettement ma pensée. » D’autres propos furent encore échangés, et sir Robert Peel n’y mit pas son sang-froid habituel. Il oubliait que les usages constans de la chambre autorisent l’orateur à rétablir le sens des paroles qu’il a prononcées, que dans ce cas il n’y a plus qu’une interprétation admise, et c’est la sienne.