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plupart, mais que l’efficacité de quelques-uns était difficile à expliquer. Voilà tout ce que je pus recueillir le premier jour ; mais je revins voir le curé Garrigues. C’était un homme instruit, intelligent, charitable dans toute l’étendue évangélique du mot, extrêmement actif. Nous chassions souvent ensemble dans les marais. Il était très adroit à cette chasse. Il avait d’excellens cigares espagnols qu’il offrait à ses amis, et dont il prenait sa part pour combattre, disait-il, les miasmes marécageux, peut-être aussi pour endormir quelque douleur secrète, car, malgré ses dehors remuans, il avait des heures de mélancolie profonde. Son caractère me convenait, je le voyais assez souvent. Un jour, après un long dîner, il pleuvait ; la conversation vint à errer çà et là. Nous parlâmes du sabbat. — On prétend que vous êtes sorcier ! lui dis-je en riant.

Il secoua la tête. — Vous voudriez bien savoir l’histoire de ma sorcellerie ? répondit-il.

J’avouai que c’était en ce moment le plus cher de mes vœux.

— Eh bien ! écoutez cette histoire, et vous saurez comment dans l’imagination de nos braves paysans des Landes se crée une réputation de sorcier.


II

J’avais dix ans lorsque j’arrivai à Carabussan. Je venais de perdre ma mère ; mon père était mort depuis longtemps. Ils étaient pauvres et travaillaient pour vivre. Avant d’être pasteur d’âmes, j’ai été pasteur de brebis, et lorsque mon oncle me prit auprès de lui, je ne savais que ce que l’on apprend au pastouris, des chansons de veillée et des histoires de sorciers. On y parlait souvent de mon oncle comme d’un habitué du sabbat. Aussi, lorsque, accompagné de sa gouvernante, je partis pour Carabussan, les autres petits bergers me suivirent pendant longtemps en criant : « Au sabbat ! au sabbat ! Oh ! le joli pasteur de crapauds ! » Ce fut sous cette impression que j’arrivai au presbytère, et je dois déclarer que la figure de mon oncle n’était pas faite pour me rassurer. C’était un homme de grande taille, extrêmement maigre. Des cheveux gris, crépus et désordonnés, lui couvraient la moitié de la face, et on n’apercevait, au premier abord, qu’un nez long et pointu, que des yeux noirs d’une petitesse et d’une mobilité extrêmes. Sa soutane était d’une propreté douteuse. Il avait de grosses guêtres couleur de cannelle, qui, ainsi que ses souliers et ses éperons, étaient tachées de cette boue tenace qu’on trouve dans les marnières. Pour m’embrasser, il tira de sa bouche une longue pipe de terre dont la fumée m’avait désagréablement affecté lors de mon entrée.