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Après m’avoir examiné attentivement et dit quelques paroles affectueuses, il me fit visiter le presbytère et toute sa petite exploitation, dont la propreté et l’ordre parfait contrastaient avec la toilette du propriétaire. Il me conduisit à l’écurie, et me montra une belle jument bretonne. Dans une loge voisine, il y avait une jument du pays, accompagnée d’une charmante pouliche. Je dus admirer ensuite une paire de bœufs hagets couleur de froment, une vache bigourdane et son veau, une génisse. Tout cela était frais et gras ; les chevaux et le bétail avaient de la litière jusqu’au ventre ; les râteliers étaient pleins de fourrages odorans. J’avoue que l’aspect de ces richesses augmenta de beaucoup l’estime que j’avais pour mon oncle, et j’oubliai un moment ses cheveux en broussailles, sa pipe et sa réputation de sorcier. Nous passâmes ensuite au jardin, qui me parut être le paradis terrestre. Il y avait peu de fleurs, mais de si beaux choux et de si beaux arbres fruitiers en quenouilles et en espaliers ! Après m’avoir laissé manger une quantité raisonnable de poires et de pêches : — Pierre, me dit mon oncle, ce n’est pas tout que de songer au corps, il faut songer à l’âme. Tu as dix ans, et tu ne sais pas encore lire ; j’ai bien peur que tu ne sois un rude écolier. Voici la leçon qui va commencer, il ne faut jamais renvoyer au lendemain ce qui peut se faire le jour même. Suis-moi.

La salle où mon oncle m’introduisit était loin d’offrir, au regard l’ordre que j’avais admiré dans le jardin et dans les étables. La chambre était basse, humide et assez obscure » parce que des branches de jasmins d’Espagne et les tulipiers de Virginie plantés au pied des fenêtres empêchaient le jour d’y pénétrer franchement. Ce qui me frappa le plus en entrant, ce fut d’abord une grande statue de la Vierge, placée sur le chambranle de la cheminée, et ensuite l’immense quantité de livres qui encombraient la chambre. Il y en avait de toutes les reliures et de tous les formats, les uns entassés en pile dans les coins de la pièce, les autres rangés assez régulièrement sur des planches ; mais tous plus ou moins paraissaient avoir eu à souffrir de la visite des rats et de l’humidité. Rongés, maculés, mangés des vers, couverts de poussière et de toiles d’araignée, ils avaient en outre, à subir l’humiliant contact d’objets d’une nature assez disparate : c’étaient des étrilles, de vieux coutres de charrue, des éperons, des brides, des robinets de cuivre, des ciseaux à tailler les arbres, de grandes bouteilles renfermant des drogues de vétérinaire, et de petites fioles bien bouchées qui paraissaient avoir une destination plus chrétienne. Il y avait aussi des filets de toute sorte. Dans un coin, on apercevait une de ces grandes arbalètes qui servent à la pêche aux grenouilles, et une canardière dont le canon atteignait le plafond : elle devait être d’un poids considérable ; il n’est pas rare d’en rencontrer de semblables dans ce