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pas part comme à toutes les grandes complications européennes. Le jour où elle voudrait s’en abstenir, elle renoncerait à être quelque chose dans le monde.

Supposons au contraire que la tentative du général Lamoricière réussisse ; supposons même que l’Europe catholique parvienne à son but, qui me paraît noble et élevé, quoique difficile à atteindre, supposons qu’elle puisse créer et conserver au pape une armée indépendante et forte : en quoi cette indépendance militaire peut-elle blesser la France ? Ce n’est pas assurément contre elle qu’elle est dirigée ; elle en serait plus naturellement l’auxiliaire que l’adversaire, car l’indépendance du saint-siège est un des intérêts de la France en Italie. À considérer les intérêts ecclésiastiques, la France ne peut pas souhaiter que le pape soit le sujet du roi de Sardaigne ou qu’il soit l’hôte du roi de Naples, si le roi de Naples a encore une hospitalité à lui offrir. Si l’Autriche redevenait puissante en Italie, la France, à consulter l’intérêt de l’équilibre européen, ne peut pas permettre que cette prépondérance s’étende jusque sur Rome. L’expédition d’Ancône en 1832, celle de Rome en 1849, ont été faites toutes les deux pour préserver la papauté de la prépondérance de l’Autriche. On peut même dire sans paradoxe que tant qu’il y a des Autrichiens en Italie, il faut qu’il y ait aussi des Français quelque part ; il faut que nous soyons au jeu, cela importe à l’honneur de la France et à l’intérêt de l’équilibre européen. Voilà pourquoi par exemple en 1839, M. Guizot, M. le duc de Broglie, M. Thiers, M. Duchâtel, blâmaient si vivement l’évacuation d’Ancône faite par M. Molé.

Si cette indépendance du saint-siège, que nous avons soutenue en 1832 par l’occupation d’Ancône faite malgré le pape, en 1849 par l’expédition et, depuis 1849, par l’occupation de Rome, si cette indépendance, qui est pour la France une maxime d’état, est désormais assurée par une armée pontificale indépendante, de quoi la France peut-elle se plaindre ? ses vœux ne sont-ils pas accomplis ? Qu’il y ait une crise nouvelle en Italie, que le système des annexions continue à s’étendre, cette armée préservera Rome ; si elle n’y suffit pas, notre armée lui viendra en aide, et elle s’entendra aisément avec le brave et habile général français qui commande l’armée pontificale. Notre armée à Rome est l’en-cas suprême de l’indépendance pontificale ; il faut que cet en-cas soit toujours prêt.