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fois, et qui éclairaient l’opinion publique sur les événemens probables par des informations et des discussions constantes, et en même temps assuraient à l’opinion un contrôle efficace et certain sur la marche des choses, un incident tel que l’expédition de Garibaldi n’eût pas troublé à ce point les intérêts et déconcerté ainsi tous les jugemens. On n’eût pas même eu le sentiment que la France pût être compromise par un incident purement italien. On se serait dit avec raison que l’ébranlement causé par une si téméraire entreprise n’eût pas, quelle qu’en fût l’issue, dépassé les limites de la péninsule. On aurait compris sur-le-champ que le seul rôle et le seul devoir qui pussent être imposés à notre pays par les suites de cette échauffourée se fussent réduits à une œuvre de surveillance d’abord, et plus tard peut-être, comme cela nous est déjà arrivé à d’autres époques et dans les mêmes lieux, à une médiation pacifique entre les combattans pour faire cesser, au nom de l’humanité, une effusion de sang et des excès aussi stériles que déplorables. Nous eussions assisté aux guerres civiles de l’Italie avec des sympathies diverses, comme nous avons eu si longtemps le triste spectacle des guerres civiles d’Espagne, sans supposer un instant que la tranquillité de la France et la paix de l’Europe fussent à la merci du coup de main d’un hardi partisan. Nous croyons que, même dans les circonstances actuelles, l’entreprise de Garibaldi devrait être envisagée avec le même sang-froid ; mais nous sommes bien obligés de nous rendre (compte des motifs qui expliquent, s’ils ne les justifient les impressions contraires qui se manifestent si généralement autour de nous.

Les événemens qui se sont accomplis depuis un an ont répandu dans les esprits une conviction d’autant plus dangereuse qu’elle est vague, d’autant plus tenace qu’elle est instinctive : c’est que les anciennes bases de la stabilité de l’ordre européen n’existent plus, c’est qu’une crise violente d’où doit sortir une distribution nouvelle de nationalités et de territoires est inévitable. Il serait oiseux de rappeler comment s’est formé ce sentiment, qui est maintenant commun à tous les peuples européens. Il serait inutile de chercher à le réfuter par des argumens. Quand certaines idées se sont emparées non plus seulement du cerveau des hommes d’état, mais de l’imagination des peuples, elles résistent aux raisons théoriques, elles ne se modifient ou ne disparaissent que sous l’empire des faits. Pour nous, qui voulons personnellement résister jusqu’au bout à cette obsession, nous ne nous sentons plus par momens le courage moral de la combattre chez les autres. Partisans du progrès par la liberté et par la paix, spectateurs sceptiques et tour à tour affligés ou indignés des tentatives de la force brutale, nous ne reconnaissons plus qu’à un seul fait la souveraine vertu de ramener la sécurité dans la conscience et dans les intérêts de l’Europe. Ce fait serait le rétablissement de la liberté politique dans tous les états, y compris la France, où elle a été détruite ou obscurcie par les réactions outrées de 1852 ; mais l’on dira que nous mettons notre foi dans une utopie. Revenons donc à la réalité. Que nous offre-t-elle ? Les grands états divisés ou étrangement rappro-