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chés par des guerres récentes ; la France exubérante de ressources financières et de forces militaires, mais exposée aux jalousies, aux défiances, aux craintes qu’elle a ameutées et liguées contre elle à toutes les époques où elle a fait montre de sa puissance, et où cette puissance n’était pas modérée par la liberté ; l’Autriche ruinée et démoralisée au milieu de la fermentation des races aimables ou vigoureuses qu’elle a contenues jusqu’à présent sous son sceptre pédant, maladroit et lourd ; la Russie, qui ne cache pas son ambition même après qu’est tombé le masque de sa puissance ; la Prusse avec ses convoitises perpétuelles et ses irrésolutions inguérissables ; la race allemande, que l’exemple de l’Italie, à laquelle elle s’est si longtemps crue supérieure, émeut dans ses aspirations à l’unité et dont les récens succès de la France réveillent les craintes et rallument les passions : l’Angleterre, hommes d’état et peuple, incertaine, mais profondément inquiète, embarrassée par le conflit des opinions, mais universellement défiante, qui s’arrête dans la voie qu’elle suit depuis quarante ans comme si elle allait retourner aux préoccupations qu’elle avait répudiées, avec tant d’entrain et d’ensemble, à son grand avantage et au profit du monde : l’Italie emportée vers l’unité au péril de la papauté, clé de voûte du catholicisme ; l’Orient, où tout le monde sent que qui voudra pourra en tout temps mettre le feu à la mine qui fera éclater l’Europe ; — partout, au-dessus des nationalités frémissantes, les cabinets déconcertés, disloqués, et les alliances mises aux enchères. Avec ce tableau devant les yeux, et c’est à qui en assombrira le plus les couleurs, le vulgaire (et qui peut se flatter de n’être point du vulgaire ?) se demande avec anxiété : N’est-ce pas le signal et le commencement de la grande mêlée ? Voilà l’interrogation secrète que trahit l’émotion générale produite par l’expédition de Garibaldi.

Nous ne jugerons pas en lui-même l’acte du capitaine aventurier et de ses compagnons. On en a fait l’objet d’assimilations iniques. On a comparé Garibaldi au flibustier américain Walker. C’est une absurde injustice. On pourra contester le jugement du héros italien, mais on devra respecter sa bravoure et cette chevalerie qui le pousse à courir toutes les chances pour la défense de sa patrie et de sa cause. Il viole manifestement aujourd’hui la légalité internationale, puisqu’il va faire la guerre civile dans un état dont il n’est point le sujet ; mais pour lui et pour ses amis Naples n’est point un royaume distinct de l’Italie, Naples n’est qu’une portion de l’Italie elle-même : ils sont unitaires. L’entreprise de Garibaldi ne doit donc ni exciter l’étonnement ni encourir le blâme de ceux qui ont concouru et applaudi à la guerre de l’année dernière : il n’était pas plus permis aux moins clairvoyans d’ignorer, il y a un an, que le mouvement italien tendait à l’unité qu’il n’est aujourd’hui permis aux plus aveugles de le nier. Quant à nous, nous laisserons volontiers le gouvernement napolitain et les unitaires vider leur querelle ensemble. Le gouvernement de Naples a été si peu clairvoyant et si entêté, il a si peu profité des avertissemens que lui ont donnés les libéraux les plus honnêtes et les événemens les plus graves, que sa cause n’est point faite