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d’être réunis. On expédiait de Suse à Alexandrie des troupes qui, malgré toute la rapidité des chemins de fer et le zèle ardent de leurs chefs, mettaient forcément à s’assembler un temps dont l’ennemi pouvait profiter. Les corps du maréchal Baraguay-d’Hilliers et du général Mac-Mahon, qui débarquaient à Gênes, ne pourraient pas s’ébranler pour nous rejoindre avant d’être au complet et de posséder les moyens de tenir la campagne. Le maréchal Canrobert sentait l’importance des heures, qu’il aurait voulu pouvoir pousser comme les hommes. Il se rendit à Alexandrie pour se rapprocher à la fois de Valence, où était le quartier-général de l’armée sarde, de Gênes, où débarquaient sans cesse des troupes françaises, et des points menacés par les Autrichiens, dont il fallait épier chaque mouvement.

Alexandrie, malgré le soleil printanier qui l’éclairait dans la matinée où elle m’apparut pour la première fois, avait le triste aspect des forteresses, ces grandes prisons où la guerre, au lieu de prendre son essor comme sur les champs de bataille, s’assied les ailes reployées dans une morne et sombre attitude. Le maréchal fut accueilli dans cette place forte par les généraux piémontais Durando et Fanti, qui l’avertirent que les Autrichiens venaient de passer le grand bras du Pô à Cambio. Le troisième corps se composait de trois divisions commandées par les généraux Renault, Bourbaki et Trochu, le successeur du général Bouat. Trois divisions commandées par de pareils hommes auraient pu assurément soutenir les premiers efforts de l’invasion autrichienne ; mais la division Bourbaki était seule établie dans Alexandrie, les autres arrivaient. Quelque coup de main heureux de l’ennemi contre le chemin de fer qui nous amenait d’indispensables renforts eût engagé pour nous la lutte dans de rudes conditions. Le premier soin du maréchal fut de visiter soigneusement toutes les fortifications de la place. Une pensée surtout l’inquiétait : maintenir ses communications libres avec Gênes et avec Turin. Il s’occupa tout d’abord de la défense des voies ferrées. Il fit établir sur les remparts de nouvelles batteries, puis indiqua en dehors de la ville des points où l’on pouvait créneler et retrancher des maisons. Il se rendit ensuite au palais d’Alexandrie, que le roi lui avait assigné pour demeure.

Le palais d’Alexandrie ne rappelle en rien celui de Turin. Il a le caractère de la ville où il s’élève. Le luxe en est proscrit, ou plutôt, je crois, n’a jamais songé à y venir. C’est une résidence toute guerrière, renfermant de grandes pièces dégarnies, faites pour prêter un abri passager à une existence hâtive et virile. Cependant les appartenions réservés au roi n’ont pas tout à fait la physionomie rigide de la vaste salle où le maréchal installa son état-major. Eh bien !