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je voie aucune probabilité d’action immédiate, je crois de mon devoir envers mon souverain et la cause commune de vous renouveler la proposition que j’ai faite dans ma note du 11 juillet.

« Comme l’affaire m’est représentée par mon gouvernement de la plus grande urgence, je me propose de me porter demain au quartier-général anglais, à quatre heures après midi, où je vous prie de vous rendre pour une conférence[1]. »


Deux projets étaient en présence. Lord Clarendon pensait que la voie la plus simple était de débarquer l’armée turque à Trébisonde, et de la diriger ensuite sur Erzeroum et Kars. Le serdar insistait vivement pour une diversion en Géorgie. D’après les renseignemens qu’il avait recueillis, ce projet n’offrait dans l’exécution aucune difficulté sérieuse.

La région comprise entre les chaînes de l’Alaghez et du Caucase est partagée par un rameau de cette dernière chaîne en deux bassins dont les eaux se déversent à l’est et à l’ouest. Ces eaux sont recueillies par la Koura et le Rion, qui portent leur tribut l’un à la Mer-Caspienne, l’autre à la Mer-Noire. Il s’agissait pour les Turcs de débarquer à l’embouchure du Rion, d’en remonter le cours jusque dans les montagnes et de gagner ainsi le col de Souram, qui donne entrée dans le bassin de la Koura. Le fait seul de leur présence à l’entrée de cette vallée obligeait le général Mouravief à lever le siège de Kars pour courir à la défense de Tiflis. Aucun obstacle matériel ne s’opposait à l’exécution de ce plan ; La grand’route ouverte par les Russes du port de Redout-Kalé à Tiflis livrait un passage facile à l’armée turque, et lui permettait de gagner Koutaïs en dix-huit heures de marche. Cette ville, située à moitié route du col de Souram, devenait sa base d’opérations. Le climat y était plus sain que sur les côtes marécageuses de la Mer-Noire. Le pays n’offrait pas, il est vrai, de grandes ressources ; mais le Rion étant navigable jusqu’à Mahran, village situé à une faible distance de Koutaïs, les approvisionnemens, tirés de la flotte, pouvaient être amenés par cette voie. Tel était l’ensemble des motifs sur lesquels Omer-Pacha s’appuyait pour donner la préférence à une diversion en Géorgie. Du reste, l’un et l’autre projet durent être ajournés pour le moment, le général Pélissier, qui semble s’être fort peu soucié des malheurs des Turcs, ayant déclaré que la présence du contingent sous les ordres d’Omer-Pacha lui était indispensable en Crimée. Lord Cowley s’entremit à ce sujet près de l’empereur des Français ; mais ses efforts échouèrent. Désespéré d’un si fâcheux contre-temps, lord Stratford mettait tout en œuvre pour trouver les 25,000 hommes que demandait le serdar.

  1. Nous reproduisons cette lettre, écrite dans un français fort incorrect, telle que nous la donne la correspondance présentée au parlement anglais.