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Norbert s’acquittait à merveille de ce rôle. Il n’humiliait jamais, comme la baronne, l’orgueil de sa cousine ; il ne froissait jamais sa sensibilité, comme son père ; il ne paraissait jamais surpris de son ignorance : il comprenait toutes les causes de ses chagrins, il était toujours disposé à lui donner raison contre ceux qui refusaient de voir en elle la plus parfaite des créatures. Sans s’en douter, et guidé par l’instinct mystérieux de l’amour, Norbert agissait comme un séducteur consommé ; mais un séducteur aurait nécessairement nourri d’autres espérances que lui, espérances qui eussent excité le courroux de la jeune Flamande. Elle aimait en effet moins le consolateur que la consolation, l’idéal autant que la personne. Sans connaître même le nom du divin Platon, elle était essentiellement platonicienne. Dans l’isolement moral auquel les circonstances l’avaient condamnée, le bonheur suprême qu’elle avait rêvé, c’était d’épancher ses douleurs dans un cœur fraternel. Son beau songe se trouvait réalisé ; mais ce que Norbert ne soupçonnait même pas, c’est qu’une tante, une cousine, une sœur se fût peut-être acquittée aussi bien que lui du rôle dont il était si fier.

Cependant, au lieu d’essayer de se rendre compte de sa situation, il se laissait aller à l’exaltation si naturelle à son âge. Il dormait peu, il ne travaillait plus, il chassait le moins possible, il n’avait plus qu’une pensée, qu’une préoccupation. Une fleur que Ghislaine avait touchée devenait pour lui un véritable trésor ; il ne feuilletait d’autres livres que les siens, il griffonnait des vers pour les déchirer avec colère comme indignes de la divinité à laquelle il rendait un culte aussi fervent que discret. Les hommes de quarante ans souriront de ces enfantillages ; mais Norbert n’était pas dans l’âge où l’on regarde les décisions de la raison comme des oracles. Il ne tarda point cependant à comprendre le rôle qu’elles jouent dans la vie quand je ne sais quel vieux duc vint demander la main de Ghislaine pour son fils aîné. Ce voyage transforma momentanément les habitans du château. Le baron était enchanté d’une alliance qui faisait entrer sa fille dans une famille intimement liée avec les anciens chefs de la Vendée et de la Bretagne. Les Celtes entêtés de l’ouest de la France étaient à ses yeux le type du peuple catholique et monarchique par excellence. Tous leurs généraux étaient des héros et des martyrs, et il canonisait à la fois Vendéens et chouans, Lescure et Puisaye, Bonchamp et Cadoudal. Le duc, ancien ami du prince de Talmont, était lui-même un peu embarrassé d’être vénéré comme un saint de l’église primitive ; il avait quelque envie de sourire en entendant parler des vertus chrétiennes de Charette, le voluptueux général des cabaniers et des huiliers du Poitou. Norbert était le seul qui conservât son sang-froid. Malgré les leçons des révérends