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au contraire à un nombre plus considérable de consommateurs, qui profiteraient de cette baisse et par suite satisferaient à leurs besoins avec moins d’efforts. La société en général bénéficierait donc, non-seulement de tout ce que perdraient les capitalistes, mais encore de l’activité plus grande imprimée à la production. Ainsi le loyer des capitaux, qui donne d’ailleurs à ceux qui les possèdent des profits parfaitement légitimes, ne constitue pas une richesse nouvelle ; il modifie seulement en faveur des capitalistes la répartition du revenu social, mais il n’augmente pas ce revenu. Que conclure de là, sinon que l’état doit rechercher, non l’intérêt le plus élevé, mais bien la production la plus abondante ? Puisque les capitaux dont il dispose sont à tous, il ferait un mauvais calcul en les faisant valoir aux dépens de tous. C’est ainsi que lorsqu’il s’agit de percer une route, il ne se demande pas quel intérêt lui rapportera le capital qu’il va débourser, mais seulement si la richesse nouvelle que cette route développera dans les pays qu’elle doit traverser est en rapport avec les sacrifices qu’exigera cette construction. C’est pour le même motif que dans l’exploitation des forêts il ne doit avoir en vue que la satisfaction d’un besoin social, et non un placement plus ou moins fructueux pour ses capitaux[1].

Ces vérités si simples, exposées pour la première fois par Varenne de Fenille dans ses Mémoires sur l’administration des Forêts, publiés en 1792, ont cependant été méconnues pendant bien longtemps. En Allemagne, quoique généralement admises, elles trouvent encore des contradicteurs. L’un d’eux, M. Robert Pressler, professeur à l’université de Tharand, s’est fait, dans un ouvrage récent (Der rationnelle Waldwirth), le défenseur absolu du produit net contre le produit brut. Il trouve dans la situation particulière de son pays des argumens sérieux pour prouver que, comme les individus, l’état doit rechercher le plus grand profit pécuniaire possible et non la production la plus considérable, qu’il doit par conséquent exploiter ses forêts aux révolutions les plus courtes. — Les bois de grandes dimensions, dit-il, coûtent fort cher à établir, et le prix de revient, qui n’est autre que l’intérêt du capital engagé, en sera, quoi qu’on fasse, toujours supérieur à la valeur marchande. Cette culture laisse donc en perte le propriétaire qui l’entreprend, et constitue pour lui une véritable charge. Lorsque ce propriétaire

  1. Ces principes tranchent une grave question. Dans des circonstances données, i’état ne doit-il pas avoir égard aux exigences de certaines industries locales, et ne conviendrait-il point par exemple de traiter en taillis des forêts situées à proximité des établissemens métallurgiques, parce qu’ils ont besoin pour marcher de bois à charbon ? L’état, répétons-le, est le représentant de l’intérêt général ; adopter au profit de quelques individus un traitement que cet intérêt réprouve, c’est sacrifier celui-ci à l’intérêt particulier et introduire en quelque sorte le système protecteur dans la culture des bois.