Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rien ne prouve mieux combien les peuples sont solidaires les uns des autres ; comme s’ils formaient une chaîne électrique, tous frémissent à la fois sous le même choc.


III

Après ma visite à San-Miguel, j’employai une dizaine de jours à parcourir les forêts et les prairies de la Sierra-Nevada. Chacune des vallées que je visitai renferme des terrasses et des bassins admirablement propices pour la culture, échelonnés de zone en zone dans un espace de quelques lieues et pouvant produire toute la série des plantes cultivées, depuis la vanille aromatique, toujours baignée par une atmosphère moite et brûlante, jusqu’au lichen d’Islande, qui germe péniblement sur la terre froide au pied des rochers neigeux. De toutes ces vallées, chaudes, tempérées ou froides, celle qui me satisfit le plus complètement fut la vallée de San-Antonio : nulle part le climat ne me sembla plus beau, la terre plus fertile ; les moustiques y sont rares, les gros barberos presque inconnus ; les serpens, assez communs, sont pour la plupart de petits boas inoffensifs : en outre, le village a l’immense avantage de communiquer avec la plaine par un sentier de mulets. Je me décidai pour une espèce de prairie d’une cinquantaine d’hectares, située à une demi-lieue de San-Antonio, sur le bord du torrent Chiruà et sur le revers de la montagne de Nanù. Dès que mon choix fut arrêté, je repartis avec Luisito pour faire à Rio-Hacha les modestes préparatifs de notre colonisation.

Notre voyage de retour fut semé de moins d’incidens que notre voyage d’exploration, mais il ne laissa pas d’être très pénible, surtout pour moi, qui avais usé dans les courses de montagnes plusieurs paires de sandales grossièrement faites en cordes d’agave, et qui avais les pieds déchirés et meurtris par les pierres. À la fin du second jour de marche, j’arrivai tout écloppé au village de Dibulla, et, me sentant incapable de continuer la route à pied, je louai un cayuco pour nous transporter à Rio-Hacha. Malheureusement, la mer étant très houleuse, il ne nous fut possible de partir qu’après deux jours d’attente que je passai étendu sur le sol dans la cabane du batelier, pauvre lépreux dont je n’osai pas refuser l’hospitalité trop empressée. Quand je fus enfin de retour à Rio-Hacha, il me fallut plus d’un mois pour me reposer complètement de mes fatigues.

Nos préparatifs d’émigration terminés, il fut décidé que je partirais le premier avec Luisito et les deux jeunes mulâtres Mejia et Bernier, qui voulaient devenir membres de notre colonie ; don Jaime Chastaing devait attendre encore quelques jours afin de surveiller