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de patroner son jeune parent. Celui-ci revint au logis moins rassuré qu’il n’eût pu l’être, mais dévoré du besoin de réagir contre l’espèce d’abaissement que venaient de lui infliger les dédaigneuses appréciations de son oncle. Maggie, qui s’empressa au-devant de lui pour apprendre le résultat de cette conférence décisive, fut la victime expiatoire que le sort devait lui fournir. — Quel dommage, lui disait-elle, que je n’aie pas été élevée par un Dominus Sampson !… Je saurais, comme Lucy Bertram, tenir les livres en partie double,… et je vous enseignerais votre nouveau métier.

— Vous êtes trop disposée à donner des leçons,… trop peu disposée à en demander, lui répliqua-t-il avec un froncement de sourcils qui annonçait toujours ses coups de boutoir, et cependant vous devriez savoir que vous vous trompez presque toujours… Vous devriez savoir aussi que c’est mon affaire, non la vôtre, de pourvoir à l’avenir de ma mère, à votre avenir… Vous devriez savoir enfin que mon jugement vaut au moins le vôtre.

Les joues de Maggie s’animèrent, un léger frémissement passa sur ses lèvres. Son affection pour son frère, l’espèce de respect qu’il lui inspirait maintenant luttaient en elle avec le ressentiment bien naturel que lui inspirait un langage aussi hors de propos. Plus d’une réplique irritée vint à son esprit, mais elle les refoula au dedans d’elle-même.

— Vous me croyez présomptueuse, Tom, répondit-elle enfin, lorsque je ne songe à rien moins qu’à faire prédominer, comme vous vous l’imaginez, mon jugement sur celui des autres… Je sais que j’ai eu tort de parler de si haut l’autre jour à nos parens réunis, je sais que vous vous êtes conduit plus sagement que moi ; mais vous êtes bien dur pour votre pauvre sœur !…

— Non, je ne suis pas dur, reprit Tom avec un accent de sévérité à peine mitigée ; j’ai toujours été, je serai toujours bon pour vous… Jamais je ne vous abandonnerai, mais vous devez et devriez toujours avoir égard à mes paroles.

Maggie, sur cette dernière admonition, se réfugia toute en pleurs dans les bras de sa mère, qui venait de rentrer. Elle trouvait son frère bien cruel, bien malavisé, de lui parler ainsi. En somme pourtant, elle ne l’en aimait que mieux. La jeune fille cédait à l’ascendant d’un caractère viril. Domptée par l’affection que les habitudes de toute sa vie avaient enracinée en elle, il lui était impossible désormais, — nonobstant la fierté de son caractère, — d’affermir et de maintenir son indépendance.

M. Tulliver ne devait pas rester à jamais dans l’état de prostration intellectuelle où sa ruine l’avait jeté. Un jour vint, — triste et solennelle journée, — où, sa raison à peu près revenue, ses idées à peu près rassises, il fallut lui expliquer sa situation nouvelle, dont